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où l’on monte un à un ; deux petites salles, d’une maison arabe quelconque, blanchies à la chaux, sans aucun ornement, sans aucun meuble. La première est vide ; dans la seconde, en face de la porte, sur un petit canapé de reps bleu très usagé, Abd-el-Aziz est assis. Et dans ce cadre d’une telle sobriété, le grand protocole des cours, les trois saluts, le rangement hiérarchique des missions. Au-près du Sultan, cinq ou six personnages, ses ministres, tous uniformément vêtus de blanc, sans aucune distinction extérieure. Tout le monde est debout. Le ministre de France lit et remet les lettres de créance, enfermées dans une gaine de satin bleu. Il lit ensuite le petit discours, préparé et pesé mot par mot. Le Sultan en a eu communication la veille, et a préparé sa réponse. Il la murmure tout bas, phrase par phrase, à l’oreille de Ben Sliman, qui la répète à l’interprète Si Kaddour Ben Gabrit. Celui-ci traduit. Vous lirez cela dans les journaux. M. Regnault offre ensuite la Grand-Croix de la Légion d’honneur enfermée dans un écrin de maroquin, que le Sultan brûle visiblement d’ouvrir. Présentation des membres de la mission. L’amiral nomme ses marins, moi mes officiers. On se retire à reculons en saluant trois fois, on redégringole le raidillon d’escalier, on retrouve les chevaux, l’escorte et, dans la cour, avant de se remettre en selle, les effusions des ministres restés muets devant le Sultan. C’est le Grand Vizir, d’abord, vieillard croulant ; puis Si Sliman, dont les yeux et les lèvres pétillent de finesse et de malice. Guebbas fils, intérimaire du ministère de la Guerre (!), ensorcelé lors de l’ambassade de son père par une hôtelière d’Alger ; d’autres seigneurs. C’est fini, et cela n’a pas duré plus de vingt minutes.

L’amiral Philibert exulte en tirant sa montre ; il a juré de repartir pour Casablanca aujourd’hui : il aura le temps encore de passer la barre, qui n’est plus praticable après deux heures.

Hier, dès mon arrivée, j’avais dit à M. Regnault mon vif désir d’avoir ici avec moi le capitaine Berriau, que vous vîtes chez moi un matin à Paris, le confident intime de ma politique oranaise, le plus documenté de mes collaborateurs en choses indigènes, si dévoué, sûr, sincère et clairvoyant, parti pour Casablanca à la tête du goum. Je savais que Drude ne ferait pas d’objection à ce court déplacement. Un mot de l’amiral par la télégraphie sans fil, et voici qu’il m’arrive en torpilleur. Il débarque au quai où je rembarque l’amiral. Grande effusion :