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reconstruire pour les faire passer dans l’escalier étroit ; les chaises (l’éternel modèle viennois en bois tourné, qu’on trouve aujourd’hui chez les sauvages comme dans les restaurants de banlieue ;) demain, il y aura des lampes ; ce soir, il n’y a encore que de lourds et nobles flambeaux en cuivre, où brûle de la cire jaune.

Nous avons mouillé à huit heures du matin, mais il a fallu attendre jusqu’à midi pour débarquer, que la barre fût praticable. C’est la « scie » de Ra-bat, cette barre capricieuse qui peut vous bloquer pendant des semaines. Deux bateaux en rade, le Gueydon et la Gloire battant pavillon de l’amiral Philibert. Il monte à bord, apportant des nouvelles chaudes de Casablanca, les amitiés de Drude, de tous les camarades de là-bas, où j’ai tant des miens et des plus chers, et jusqu’au déjeuner les récits vont leur train ; — nous en recauserons. — Son premier mot est pour me dire qu’on m’y attend et me le répéter avec une insistance et une chaleur qui ne me laissent aucun doute sur l’accueil qui m’y serait fait. Chose curieuse, cela avait été également hier soir le premier mot de M. Regnault. Je leur ai fait comprendre que c’est impossible, et que précisément parce que ce sont en majorité des troupes de ma division, Drude compris, argument principal qu’ils mettent en avant pour m’y entraîner, je me refuse au contraire péremptoirement à y aller. Drude est à Casablanca général en chef, ne relevant que du ministre ; il n’y a plus là ni brigadier ni troupes d’Oran, mais des troupes à lui, et, à aucun titre, je ne dois ni ne veux paraître y aller en contrôleur, ou inspecteur en chef.

Le consul, M. Leriche, est venu à bord, en habit brodé, chapeau à plumes, et tous les diplomates, ministre en tête, sortent successivement de leurs cabines en fracs dorés, bicornes. Pour ce premier acte, militaires et marins sommes simplement en petite tenue.

Trois quarts d’heure de « barquasse ; » les rameurs chantent, la barre n’est pas trop méchante, quelques secousses et nous voici sous les vieux murs de Rabat, baignant dans la mer. Ah ! c’est très beau ! — de hautes murailles rouges, demi-ruinées, trouées, chevelues. De vraies eaux-fortes de Piranesi. Au détour de ce décor moyen âge, la ville apparaît, blanche, étagée, avec les minarets en panache ; le quai chatoie de population ; on accoste ; l’armée rouge des réguliers, la musique du