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adapter un excentrique qui remédiât au mal, et on ne le fait pas. Les neuf dixièmes des obus du bord à détruire : poudres trop vieilles. Interdiction absolue de se servir des obus à explosifs, parce qu’il est consta-té que, par suite d’un vice de construction et d’une erreur de calcul, ils éclatent avant la sortie du canon. Et ainsi de suite, sans répit. Et les gémissements sur les six nouveaux cuirassés, votés, déjà en construction, qui seront terminés dans six ans, coûteront 300 millions, un tiers de milliard, et sont ratés d’avance, pour des raisons qu’on me précise ; et, conclut un officier, ce sera la faillite définitive de la marine française, car jamais une Chambre ne consentira dans l’avenir à renouveler un pareil effort lorsqu’on saura que ces 300 millions ont été gaspillés en pure perte, et qu’on le savait d’avance. Et la doulou-reuse énumération des causes de tout ce mal : absence d’unité de direction ; multiplicité et rivalité des organes constructeurs ; les divers éléments d’un navire établis séparément par des corps qui ne communiquent pas entre eux et se jalousent, — et la dissolution des arsenaux, et l’indiscipline, etc.. etc.. et, comme chez nous, la conclusion consolante, et navrante à la fois, que le corps des officiers combattants continue à renfermer des res-sources illimitées, un entrain, un désir de bien faire, une foi, qui résistent à tout, et que les équipages dans leur ensemble demeurent excellents : mais à quoi bon !

6 heures soir. — On m’appelle sur le pont. Les « colonnes d’Hercule » ouvrent leur embrassure, et le soleil, comme un boulet rouge, y tombe dans l’Atlantique. Vous me dispenserez du développement, n’est-ce pas ? En ai-je collectionné des couchers de soleil, de Singa-pour à Stamboul, de l’Océan Indien au Sahara ! Mais je suis décidément réfractaire à la satiété, et devant les jeux divins de l’eau et de la lumière, je garde l’enthousiasme de mes vingt ans.

Et voici les lumières de Tanger.


11 heures soir, à bord de la Jeanne d’Arc.

Dans la nuit, on nous a transportés de bord à bord. M. Regnault nous attendait sur la Jeanne d’Arc, impatient de partir. Il s’agit, parait-il, de devancer les Espagnols ; la journée s’est passée en manœuvres, démarches, préparatifs, et Regnault nous attendait avec anxiété. A peine étions-nous à bord qu’on a appareillé. Le Pélayo et la Numancia sont toujours là : rien