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partir pour faire partie d’une mission dirigée par M. Regnault. Un officier supérieur et deux capitaines m’étaient adjoints ; j’avais le choix des capitaines, le ministre se réservant d’envoyer directement de Paris l’officier supérieur. Je désignais mon officier d’ordonnance, le capitaine de tirailleurs Poeymirau, et le capitaine d’artillerie Delmas de mon état-major. Le jour même de mon départ, j’apprenais que l’officier supérieur désigné était le commandant Larras, de l’ancienne mission marocaine, attaché au cabinet du ministre.

Je vais là-bas sans enthousiasme : — j’ignore absolument ce que j’y vais faire, quelle est la mission de M. Regnault. Va-t-il, tout en saluant le Sultan, lui garantir notre appui sans réserve, lui promettre notre concours pour le rétablissement de son autorité sur tous les points du Maroc ? Or, en ce qui concerne la zone qui confine à l’Algérie, celle que je connais, nulle politique n’est plus contraire à nos intérêts. C’est chez les adversaires du Maghzen que se trouvent tous les éléments favorables à l’ordre, à la sé-curité, à l’accession de notre influence, et, au contraire, les autorités chérifiennes et les tribus maghzéniennes y syndicalisent tout ce que nous avons à combattre. Il peut donc sortir de cette entrevue de Rabat l’accentuation d’une politique à laquelle je ne puis m’associer. Du reste, en sortira-t-il seulement une poli-tique quelconque ? Nous sommes tellement mal engagés ! La partie n’est-elle pas compromise d’avance ? Ne sera-ce pas un geste d’apparat et d’impuissance après tant d’autres : demi-gestes plus nuisibles qu’utiles, comme Oudjda, comme Casablanca [1], faits uniquement pour la galerie électorale et parlementaire, sans tenir nul compte des réalités locales et des résultats efficaces ?

Je ne vois à ce voyage que deux bons côtés : d’une part, la détente, le pittoresque, le côté « vacances » dont j’ai si besoin ; d’autre part, l’occasion de sortir un peu du vide où je patauge depuis un an, de voir de près M. Regnault dont j’ai bonne impression, de causer à fond avec lui, en jouant cartes sur table, en ne craignant pas de préciser nos désaccords même, de façon, si possible, à en revenir fixé, et à voir en toute connaissance de cause s’il me reste une œuvre utile à faire sur cette frontière, ou si vraiment, la partie française y étant

  1. On en était encore à Casablanca à la période du « petit paquet » inefficace et illusoire dont on ne se décida à sortir que quelques mois plus tard.