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que l’ambassadeur d’Allemagne mène ici maintenant, avec le soutien d’un certain nombre des membres du parti allemand, et peut-être aussi l’appui secret de l’archiduc Franz-Ferdinand, oblige sans doute, en ce moment, le ministre à une prudence peut-être difficile à concilier avec la déclaration que nous souhaiterions et qu’en tout état de cause, les liens contractuels de la monarchie rendent délicate. Plus délicate encore sera la condition de secret à laquelle le ministre impérial et royal tiendrait probablement, s’il se résolvait à ce que nous demandons. Pourrions-nous en prendre l’engagement absolu ? cela paraît douteux. Il semble qu’il faudrait que nous pussions faire état auprès de nos amis et de nos alliés, en tout ou en partie, de que nous aurions obtenu. »

Ainsi, le comte d’Æhrenthal nous avait demandé des avantages financiers, à propos de l’acceptation par l’Autriche du traité marocain. Il ne nous avait rien proposé, rien offert, rien promis. M. Crozier avait seulement pensé que cette demande d’admission à la cote pourrait nous fournir l’occasion de dire à l’Autriche : « Vous voulez notre argent. Garantissez-nous votre neutralité, dans le cas d’une agression de l’Allemagne. » Mais obtenir ainsi de l’Autriche l’engagement qu’elle resterait neutre, si la France était attaquée par l’Allemagne, ce n’eût été malheureusement, pour la paix, qu’une caution dérisoire. Au mois d’août 1914, après que l’Allemagne nous a eu déclaré la guerre, l’Autriche-Hongrie s’est, pendant quelques jours, flattée de rester neutre vis-à-vis de nous. Son ambassadeur, le comte Szecsen, diplomate loyal et très galant homme, n’a pas quitté Paris ; il a paru se bercer de l’espoir que les rapports entre la République et la monar-chie dualiste ne seraient pas rompus, et finalement c’est la France qui, constatant que l’état de guerre existait entre son alliée, la Russie, et l’Autriche-Hongrie, a dû prendre elle-même l’initiative d’une rupture avec Vienne. A supposer donc que les difficultés prévues par M. Crozier ne se fussent pas produites, et que le comte d’Æhrenthal eût laissé ouvrir une conversation qu’il n’avait pas provoquée, il eût fallu envisager, non pas seulement l’attitude éventuelle de l’Autriche dans une guerre entre l’Allemagne et nous, mais la position que prendrait la monarchie vis-à-vis de la Russie en cas de désaccord dans les Balkans ; et sur cette question essentielle, notre ambassadeur n’exprimait aucun avis. Loin d’être en présence de propositions concrètes, M. de Selves se trouvait donc en face du néant.

Aussi bien, le 1er décembre, lorsque le comte Szecsen vint lui parler du traité marocain et fit allusion, au cours de l’entretien, à