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était sans aucune animosité contre elle. Dans l’intérêt de la paix générale, le gouvernement de la République cherchait à entretenir avec Vienne et avec Budapest des rapports aussi cordiaux que possible : il n’y avait à ces dispositions amicales d’autre limite que le respect de nos propres alliances. Le 30 juillet 1909, dans une dépêche adressée à M. Stephen Pichon, M. Guillemin, chargé d’affaires de France à Vienne, remplaçant l’ambassadeur, M. Philippe Crozier, alors en congé, définissait fort exactement cette politique. M. Guillemin parlait des efforts tentés, à diverses reprises, par le Gouvernement autrichien, « pour nous associer, disait-il, à des manifestations susceptibles de nous compromettre vis-à-vis de nos alliés et de nos amis. » Et il ajoutait : « Personne ne songerait à contester les avantages trop évidents que les bonnes relations, si heureusement établies entre la France et l’Autriche-Hongrie offrent au point de vue de nos intérêts particuliers, aussi bien que de l’intérêt plus général du maintien de la paix en Europe. Mais nous ne devons pas oublier que les deux pays appartiennent à des grou-pements opposés. Ce serait pure folie que d’espérer desceller actuellement le bloc aus-tro-allemand, et c’est bien plutôt notre alliance avec la Russie que nous risquerions d’user à ce jeu. Un homme d’État autrichien, ministre d’hier et sans doute aussi de demain, le baron de Beck, me disait récemment encore : « J’espère, dans l’intérêt de nos bonnes relations avec la France, que l’on ne s’y fait pas d’illusions, que l’on se rend bien compte de ce fait que l’alliance étroite avec l’Allemagne est pour l’Autriche une nécessité à la fois politique, ethnographique, géographique et économique. » « L’alliance franco-russe, continuait M. Guillemin, ne repose pas malheureusement sur de semblables assises : deux pays que tout séparait se sont unis pour s’opposer au développement de la puissance austro-allemande et soustraire l’Europe à une hégémonie intolérable. C’est de cela qu’est née l’alliance franco-russe. N’offrons donc à l’Autriche que ce que nous pouvons légitimement lui donner, et ne recevons d’elle que ce qu’il nous est permis d’accepter. Nos rapports avec la monarchie n’en seront pas moins bons, et ils auront plus de chances de durée. »

Le 12 août 1909, M. Stephen Pichon avait communiqué cette dépêche aux divers postes, avec ce simple commentaire : « Notre chargé d’affaires à Vienne vient de m’adresser sur les relations franco-autrichiennes, étudiées au point de vue de l’alliance franco-russe, une dépêche intéressante dont je crois devoir vous communiquer ci-joint une copie. Les appréciations formulées par M. Guillemin