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d’amour donnés par l’une des sœurs à l’autre, qui, lentement charmée, les écoute et déjà consent en son cœur à les suivre.

Cette suite a lieu, comme vous savez, pendant une partie de chasse, à la faveur d’un orage : « Speluncam Dido... » et le reste. L’épisode purement symphonique, est beau, très beau de mouvement et de couleur. Il est traversé, peut-être même dominé par une phrase de cor fort originale ; elle y entre en quelque sorte de biais et par cela même elle échappe à la rectitude ou à la carrure ordinaire des fanfares de vénerie.

Un soir serein succède à cet orage. Notre confrère Boschot a bien raison d’écrire : « Alors commence un des purs enchantements de la musique. » Nous ajouterions volontiers : de la musique antique, ou à l’antique, de la musique latine, de la musique méditerranéenne. Et cet enchantement se prolonge. Un quintette, un septuor avec chœurs, un duo, viennent tour à tour en accroître, en renouveler la profonde et ravissante douceur. L’esprit apollinien seul inspire ici la musique, et toute la musique : les récits déclamés, les chants et la symphonie. Pas un mouvement, pas un accent de passion ne trouble, ne fût-ce qu’un instant, la paix immense et quasi divine des choses et des âmes. « Apprenez-moi, demande au Troyen l’amoureuse reine, apprenez-moi le sort de la belle Andromaque. » Et, l’ayant appris, elle ne répond d’abord que par un soupir dont Virgile ou Racine envierait la pudeur. Regrettons seulement qu’à l’Opéra la reine interroge et que son hôte réponde sur un ton qui siérait au désir de connaître comme à la manière de raconter des faits divers ou des « mondanités, » plutôt que les malheurs de Troie et d’héroïques histoires de guerre et d’amour. Mais tout le quintette est un modèle de psychologie musicale, où la pureté des formes s’allie à la justesse et à la variété de l’expression. Il n’est pas jusqu’au larcin de l’anneau nuptial, dérobé par Ascagne-Cupidon à la reine, qui ne soit un trait de grâce malicieuse. « Tout conspire, murmure Didon, tout conspire à vaincre mes re-mords. » Tout a conspiré de même à nous gâter, par le spectacle, la beauté de la musique. « Les voix d’Énée et de Didon, écrit M. Boschot, mêlées aux voix de leur suite (septuor) éveillent lentement l’écho d’un chœur lointain qui répond du fond des jardins endormis. » En réalité, nous avons vu « la suite » de Didon et d’Énée s’aligner à l’avant-scène, ou peu s’en faut, sur trois ou quatre rangs de choristes, plantés tout droits, comme des pieux. Et les « jardins endormis » offrirent aux regards on ne sait quelle masse énorme autant qu’informe de feuillages, à moins que ce ne soit de fleurs