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scène à la clarinette, « ce beau soprano instrumental, » ainsi qu’il l’appelle en son Traité d’instrumentation. La cantilène est admirable de noblesse douloureuse. Elle l’est par la pureté des lignes, par la rare et discrète intervention de la foule, même par les silences ; à la fin, par quelques notes de hautbois qui semblent s’appuyer, plus frêles et plus tristes encore, à la sonorité plus ronde de l’instrument principal. Le cours de la mélodie se partage entre les deux modes mineur et majeur ; elle sourit un moment à travers des larmes, comme si la musique voulait laisser à la veuve inconsolée tous les traits que prête la poésie d’Homère à l’épouse inquiète. Et l’on se demandait l’autre soir, en écoutant le « beau soprano instrumental, » pourquoi les chanteurs humains, « le terme générique de « chanteurs » embrassant ici les chanteuses), chantent si rarement avec ce style, ce goût, ce respect des nuances et des valeurs, cet art enfin de conduire la phrase, de poser et de modeler les sons.

Dans la « grande machine » de Berlioz, il n’y a pas de pièce montée en de plus vastes proportions, décorative avec plus d’éclat que la « marche troyenne. » On y découvrirait même çà et là des dessous profonds et mystérieux. Les spectateurs savent bien que tout un peuple acclame ici l’instrument de sa perte, et ce peuple l’ignore. Mais à certains accents il semble que la musique le sache elle-même. Plus que jamais inspirée et menaçante, la sombre pythonisse ne contredit plus seule à l’allégresse de la foule et d’autres voix que la sienne mêlent à des cris joyeux de funestes présages.

Après la prophétesse de malheur, écoutons l’optimiste souveraine. Sur les lèvres de la reine de Carthage, la musique, dès les premières notes, sourit. « Chers Tyriens... » Ce discours du trône, le jour de la distribution des récompenses aux représentants de la marine, de l’industrie, de l’agriculture et du commerce punique, est un bien joli morceau d’éloquence officielle et cordiale en même temps. C’est encore un « air, » à l’ancienne mode, et, par moments, à roulades, mais dont le charme, l’élégance, la grâce affable n’ont pas vieilli. Et puis, et surtout peut-être, ces mêmes notes, les premières, nous rappelaient, — oh ! par contraste, — le soir lointain où nous les entendîmes, si pures, si graves et si tendres, tomber de la bouche d’une toute jeune fille, d’une enfant de vingt ans à peine, qui fut Didon naguère à l’Opéra-Comique, et quelle autre Didon !

Un peu long et traînant, le duo de la reine avec « Anna soror » ne manque pourtant pas de finesse. On relèverait dans le dialogue féminin et fraternel plus d’un trait ingénieux : insinuations, conseils