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regrette moins la scène d’Énée et de Didon, ou plutôt la scène que fait Didon à Enée avant le départ d’icelui. Voilà l’état des « coupures. » Elles n’ont pas empêché que, dans l’œuvre ainsi raccourcie, on ne trouvât encore des longueurs, et des grosseurs également.

La partie militaire est la plus fâcheuse. En somme, le pieux Énée, à peu près constamment, et surtout quand il « s’en va-t-en guerre » contre les Numides et pour Carthage, fait assez piètre figure parmi les héros lyriques. En musique, ou par la musique, c’est un faux grand homme, et qui de la grandeur a beaucoup moins la réalité que l’apparence, les dehors enflés et bruyants. À Troie d’abord, puis à Carthage, qu’il débarque ou se rembarque, rien ou presque rien de ce qu’il chante ne donne l’impression de la vie et de la vérité. Avant même de quitter Ilion, quand il a terminé le récit, d’ailleurs bien mené, de la mort de Laocoon, il préside un grand diable d’ « ensemble » terriblement poncif et fastidieux.

Mais Didon est une tout autre figure musicale. Et Cassandre aussi, la vierge, « qu’il convient, au moins par ancienneté, de louer la première. Ses prophéties et ses imprécations, d’un bout à l’autre de la Prise de Troie, voilà, dans les deux ordres alternés de la mélodie ou de « l’air, » (à l’ancienne mode), et du récitatif que tantôt accompagne, tantôt interrompt l’orchestre le plus éloquent, le plus pathétique, voilà les beautés pures où se reconnaît d’abord le génie classique ou la moitié classique du génie de Berlioz. Des pages comme l’air initial de Cassandre, (y compris et peut-être surtout le prélude orchestral et chanté qui l’annonce), ne sont pas inégales à certaines pages de Gluck. Sans les imiter, elles s’en inspirent ; elles leur ressemblent, non par la lettre, mais par l’esprit ou l’âme.

Un vrai « duo » succède à cet « air » véritable. Il en faut déplorer la phrase finale, mais goûter, au début, la cavatine tendrement rassurante du jeune Chorèbe. Oui, cavatine et même romance, si l’on veut, cette romance m’est chère. Elle compte parmi les mélodies, assez rares, du maître, qui justifient le mot de Gounod : « Quel homme élégant, ce Ber-lioz ! »

Quel poète, et quel poète antique, on dirait volontiers quel sculpteur aussi, le Berlioz du mélodrame accompagnant le passage muet d’Andromaque et de son fils, pendant la fête imprudemment donnée en l’honneur du funeste cheval. On eût aimé seulement que leur passage fût plus calme et qu’ils ne fissent que passer. La pantomime exagère ici les mouvements. Il y faudrait plutôt un parti pris de sobriété, presque de monotonie. Berlioz a confié la conduite de cette