Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 64.djvu/226

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il paraît, — M. Lasserre le dit, — que le R. P. de Tonquédec, de la Compagnie de Jésus et l’auteur d’un essai relatif à M. Claudel, « remplit deux grandes pages avec le catalogue des fautes de français que l’emportement d’une inspiration sublime arrache au poète. Encore (ajoute M. Lasserre) le P. de Tonquédec ne dit-il rien de ce qui est plus grave peut-être que ces fautes formelles et consenties : les innombrables phrases dont la construction est douteuse et que l’on est obligé de relire plusieurs fois, pour s’assurer de ce qui est sujet, de ce qui est complément ou attribut. » M. Lasserre note que M. Claudel, si le cœur lui en dit, ne balance pas d’appeler un cheval un « chevau ; » et, s’il a dessein de peindre la couleur « vitreuse » ou « vitrifiée » de la mer sous le soleil, il appelle la mer « le profond vitre. » Ça vous est bien égal ?

Et, de ne pas comprendre ?... Ça vous est bien égal aussi ?... Mais vous comprenez ? Je le nie.

Je ne dis pourtant pas que toute l’œuvre de M. Claudel soit tout à fait inintelligible. On a ses moments de relâche, si assidu que l’on veuille être à obscurcir les moindres choses. Il arrive à M. Claudel, par lassitude ou nonchalance probablement, d’écrire comme un bon garçon dépourvu de malice. Alors, ses révélations ne sont pas importantes. Il écrit, — c’est l’une de ses héroïnes qui parle : — « Je vivais à la maison et je ne songeais point à me marier... » Quelquefois, il faut se donner un peu de peine ; et l’on se donne un peu de peine et l’on est déçu : en somme, ce n’était qu’une idée menue et que M. Claudel a richement habillée de calembredaines imposantes, ce n’était pas grand’chose. Puis, M. Claudel s’applique tout de bon ; et il écrit : « L’angle d’un triangle connaît les deux autres au même sens qu’Isaac a connu Rébecca. » Cette fois, l’on n’y comprend absolument rien, n’est-ce pas ? Absolument rien ! Mais l’on se console à se dire, avec beaucoup d’apparence, que, si l’on avait compris, l’on n’aurait pas compris grand’chose.

Je ne sais si M. Claudel se rit de son lecteur. S’il ne s’en rit pas, quel dommage ! Et qui donc s’amuse ?

En tout cas, il est comique et pourtant lamentable de voir une poignée de Conservateurs résolus, sages d’autre part, monter une garde farouche autour d’un écrivain que récla-meraient plus opportunément les Cubistes.


ANDRE BEAUNIER.