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sans reproche, mais il est, en littérature, étourdiment ou non, l’anarchiste le plus fâ-cheux.

Pour qu’un tel écrivain soit proposé, soit imposé, — avec quelle violence et quel injurieux fanatisme ! — comme le grand poète de nos jours et devant qui la critique doit s’incliner, silencieuse et déférente, et pour que les prôneurs de cet écrivain se trouvent parmi les défenseurs de la meilleure tradition française, il faut que l’esprit de chapelle sévisse d’une ridicule manière.

Les Claudeliens répondent qu’en ce temps-ci les intérêts de la pensée religieuse doivent être placés avant la frivolité littéraire et que, s’ils ont découvert un écrivain catholique, on a tort de le chicaner au nom de la grammaire, au nom de la prosodie. Quant à eux, ils ne l’abandonneront pas : et tant pis, au bout du compte, si les joueurs de flûte ne sont pas contents !

C’est mal répondre.

Il y a les intérêts de la pensée religieuse, bien dignes du souci des honnêtes gens ; et il y aies intérêts de la littérature. Ne confondez pas toutes choses et ne croyez pas servir la pensée religieuse au détriment de la littérature : vain sacrifice ! Défendez la pensée religieuse, mais n’exigez pas que la littérature soit toute consacrée à la défense de la religion. Ni au XVIIe siècle, qui n’était pas impie cependant, ni même du-rant le moyen âge, on n’a voulu réduire la littérature au service de la religion. Bourda-loue est un prédicateur, Molière un auteur comique : et Veuillot n’a point raison, quand il reproche à Molière de n’avoir pas été un moraliste et un censeur de la même sévérité que Bourdaloue ; c’est tout embrouiller, comme le XVIIe siècle ne l’a pas fait.

Ne donnez pas non plus à imaginer que vous soyez tant dépourvus de vrais poètes, quand vous choisissez, — n’en avez-vous point d’autres ? — un faiseur de galimatias ! Et tâchez de voir clair : vous enseignez la clarté.

La littérature française dure depuis longtemps. Elle a contribué, pour sa part, et qui est grande, à élaborer l’esprit français. Vous vous adressez, vous, à l’esprit français et prétendez lui montrer l’accord de la raison limpide et de la croyance catholique. A la bonne heure ! Mais ne présentez pas à la raison limpide cette croyance catholique rendue extravagante par un écrivain qui joue à n’être pas du tout raisonnable. Et ne gâtez pas la littérature française en la détournant de son vrai génie : ce ne serait pas sans dommage pour l’esprit français, à qui vous avez affaire.