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Est-ce qu’il ne la cherche pas ? Il écrit : « lecteur patient, dépisteur d’un vertige élusif, l’auteur qui t’a conduit jusqu’ici, en menant ses arguments comme Cacus faisait des bêtes volées, qu’il entraînait vers sa caverne, l’invite à te bien porter. Glissante est la queue de la vache bi-cornue. Ramène vers la crèche légitime cet animal maltraité et que te rémunère l’ample don du laitage et de la bouse ! Pour moi, les mains libres, je regagne la pipe et le tambour, je referme derrière moi la porte de la Loge de la Médecine. » Ce galimatias n’est point naïf.

La langue du moyen âge est pauvre. La langue de M. Claudel, non pas ! Elle emprunte des mots de toutes les époques ; elle forge des mots à l’aventure. Elle embrouille les mots et les met dans un opulent désordre.

Il n’est point, en littérature, un écrivain du moyen âge. Il est l’héritier prodigue et terriblement gaspilleur de toutes les écoles diverses qui se sont chez nous succédé, surtout durant le dix-neuvième siècle ; héritier du romantisme, et du naturalisme, et du symbolisme : ne se réclame-t-il pas d’Arthur Rimbaud ? S’il ne témoigne pas tant de gratitude au romantisme, c’est qu’à présent le romantisme a cessé de plaire ; au naturalisme, c’est que le naturalisme a encouru le blâme des raffinés.

La gloire de M. Claudel apparaît comme le chef-d’œuvre d’une chapelle extrêmement habile et qui a su se fabriquer son héros. Qu’importe ? dira-t-on. Cette gloire n’est pas du tout insignifiante ; elle a des inconvénients redoutables. Si l’on recommande à l’admiration de la foule un écrivain qui méprise le bon vocabulaire et la vraie syntaxe de France, on met en plus grand péril notre langue, déjà si éprouvée, si menacée par l’incessante barbarie des ignorants et des sots. Les Claudeliens qui, par ailleurs, sont des hommes de tradition, se plaignent de l’anarchie envahissante : est-ce qu’ils ne voient pas que leur claudelisme fourre de l’anarchie dans la littérature ?

Un écrivain qui bouscule le vocabulaire et la syntaxe, qui invente des mots à tire-larigot, qui prend les vieux mots sans choix et qui les détourne de leur signification reconnue, qui fausse la logique de la phrase et bouleverse l’arrangement d’idées appelé syntaxe ; un écrivain français qui méprise ou qui feint de mépriser et qui a peut-être l’infirmité de ne point goûter les plus exquises qualités du génie français, clarté, simplicité, jolie élégance et, le cas échéant, une gravité naturelle : un tel écrivain, je veux bien qu’il soit un catholique