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qu’il ne convient de refuser ni d’accepter tout de go. Le paganisme d’un siècle où catho-liques et huguenots se chamaillaient si bien, s’entretuaient : l’étrange paganisme ! Passons. Mais un poète, — en l’espèce, M. Claudel, — à la consécration de qui l’on doit, sans barguigner, sacrifier toute la littérature des quatre siècles derniers, quel poète et qui va nous coûter cher ! S’il faut, pour admirer M. Claudel, pour com-prendre Tête d’or et le Partage de midi, renoncer à ces quatre siècles de littérature, de bonnes gens vont plus volontiers renoncer à M. Claudel. Et je suis, de ces bonnes gens, l’humble camarade.

En outre, on nous raconte des histoires, quand, faute de trouver nulle analogie rassurante et flatteuse entre la poésie de M. Claudel et notre idée de la littérature française, on nous renvoie au moyen âge pour y chercher une littérature le moins du monde claudelienne. La connaît-on, cette littérature médiévale ? Je crois que non. Pour peu qu’on la connût, on avouerait qu’il n’y a point un poète du moyen âge qui soit le précurseur de M. Claudel et à qui M. Claudel ressemble aucunement. Ou bien, les ressemblances que l’on découvrirait ne seraient point à l’honneur de M. Claudel ; et je devine que les Claudeliens rougiraient de les constater. Les poètes du moyen âge n’ont à leur disposition qu’une langue très imparfaite, rude et qui n’a point encore acquis une exacte justesse, une fine souplesse, une excellente clarté. Or, la langue de M. Claudel manque de justesse, de souplesse et de clarté : est-ce la constatation que les Claudeliens nous engagent à faire ? Oh ! que non !... La langue française a pris plus de rigueur dialectique avec Descartes, plus de preste gaieté avec Voltaire ? La langue de M. Claudel manque de rigueur dialectique et manque de preste gaieté : il ne doit rien à Descartes (c’est dommage !) et ne doit rien à Voltaire (grâces à Dieu ! diront les Claudeliens) ; ce n’est pas une raison pour qu’on le croie contemporain de Philippe-Auguste ou de saint Louis. Les phrases de M. Claudel sont lourdes, longues, mal bâties, encombrées de mots im-propres ; et la plupart des poètes du moyen âge écrivent ainsi. Seulement, les poètes du moyen âge écrivent ainsi par mégarde et, quelquefois, par négligence ; principalement, ils utilisent l’instrument qu’ils ont et qui n’est pas le meilleur. M. Claudel, lui, c’est exprès qu’il écrit mal ; ou, du moins, il n’a point d’excuse : pourquoi refuse-t-il le bon instrument que lui ont préparé, depuis le moyen âge, quatre siècles de littérature suivie et la plus belle qui soit au monde ? Les poètes du moyen âge sont, en général, obscurs et difficiles à lire : involontaire obscurité ! mais, lui, M. Claudel, cherche l’obscurité.