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poèmes ; vous n’y comprenez pas grand’chose : et vous avez le sentiment de lire une tra-duction d’un poème étranger.

Comment se fait-il que ce fameux poète paraisse tout dépaysé dans la littérature de chez nous ? Il y a, pour élucider ce problème, une théorie d’un Claudelien très distingué, M. Robert Vallery-Radot, théorie qu’a résumée M. Lasserre dans sa préface. Depuis la Renaissance, dit à peu près M. Robert Vallery-Radot, notre littérature est infectée de paganisme ; les poètes qui, depuis lors, ont prétendu consacrer leur génie à célébrer la religion chrétienne sont malheureusement contaminés d’art antique ou d’un art nouveau que l’antiquité païenne a produit. Leurs ouvrages, malgré leur projet religieux, sont imparfaitement chrétiens. Leurs âmes chrétiennes re-vêtent le costume païen. Leur christianisme admet un mélange de naturalisme grec ou romain. Voici M. Claudel, qui franchit des siècles et qui d’un bond retourne au moyen âge : il a sauté par-dessus le romantisme, le philosophisme, le classicisme et la renaissance. Il a sauté à reculons ? Ce n’est pas un reproche à lui faire, si l’on n’est pas entiché d’une idée de progrès qui, dans la littérature et dans les arts, ne vaut rien. Quoi qu’il en soit, M. Claudel nous apparaît « comme un poète médiéval : et, s’il vous semble que son œuvre se lie mal à notre littérature, c’est que vous entendez, par notre littérature, celle qui florit en France depuis la fin du moyen âge. Considérez M. Claudel comme un poète du moyen âge : vos critiques tombent, vos critiques d’humanistes fieffés. M. Claudel a retrouvé l’esprit véritablement chrétien d’une époque où le sentiment religieux était dans sa pureté absolue. La littérature de cette époque, sans être « inspirée, » au sens rigoureux d’un tel mot, contient et laisse fermenter les germes de la Révélation. « Voilà, dit M. Lasserre, interprétant la pensée de M. Vallery-Radot, le carac-tère par où la poésie claudelienne dépasse notre critique, par où elle dépasse les questions de beauté, de talent et d’art, que notre critique a l’habitude de poser d’après des modèles païens ou demi-païens. La commune mesurera commune intelligence, le commun sentiment des choses littéraires, prises dans l’enceinte de l’humanisme, ne valent pas pour la poésie claudelienne, qui pour ainsi dire, les transcende... » Et voilà pourquoi M. Pierre Lasserre, « enfant de Minerve, » ne comprend ni Tête d’or ni le Partage de midi.

La théorie de M. Robert Vallery-Radot n’est pas maladroite ; et, comme on y aperçoit des bribes de vérité, l’on serait tenté de l’agréer pour vraie. Ce qu’il dit au sujet du paganisme de la Renaissance, on l’avait déjà entendu dire : c’est une de ces opinions ou « idées générales »