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Dieu, la répulsion essentielle enregistrée par l’engin des mondes. » Cette métaphysique vous décourage ; elle vous impatiente. Vous devinez qu’on se moque de vous, d’une façon qui n’est pas drôle. Vous n’osez pas supposer qu’on écrit ce morne jargon sans le faire exprès. En tout cas, vous êtes de mauvaise humeur et vous fermez le livre.

Sans mauvaise humeur, avec une obligeance méritoire, M. Pierre Lasserre continue sa lecture et n’est jamais rebuté. Il lit les Grandes Odes. Il lit : « Je sens, je flaire, je débrouille, je dépiste, je respire avec un certain sens... » A la ligne !... « la chose comment elle est faite ! Et moi aussi je suis plein d’un dieu, je suis plein d’ignorance et de génie !... » A la ligne !... « O forces à l’œuvre autour de moi, — j’en sais faire autant que vous, je suis libre, je suis violent, je suis libre à votre manière que les professeurs n’entendent pas ! — Comme l’arbre au printemps nouveau chaque année — invente, travaillé par son âme, — le vent, le même qui est éternel, crée de rien sa feuille pointue, — moi, l’homme, je sais ce que je fais. — De la poussée et de ce pouvoir même de création, — j’use, je suis le maître... » Doux et bon, M. Pierre Lasserre demande, et c’est tout ce qui montre son déplaisir : « Vraiment, veut-on que je prenne cela pour de la poésie ? » On n’a pas plus d’aménité dans le déplaisir.

M. Claudel a beaucoup moins d’aménité. M. Claudel croit deviner que son lecteur sue sang et eau pour déchiffrer ses vains rébus, inutile sueur ! et, au bout du compte, est pantois. Qu’importe à ce prophète ? Il vous répond : « Je n’ai pas à faire de vous... » Cela veut probablement dire que M. Claudel n’a point affaire à vous... « A vous de trouver votre compte avec moi, — comme la meule fait de l’olive et comme de la plus revêche racine le chimiste sait retirer l’alcaloïde ! » M. Pierre Las-serre, tout simplement, trouve ici quelque « jactance » et, d’ailleurs, ne doute pas que M. Claudel ne soit un valant homme. Il ajoute : « Les grands maîtres antérieurs à lui faisaient la vendange eux-mêmes et ne nous donnaient pas une meule à tourner. Ils ne nourrissaient pas le public de racines. Ils attendaient la fleur et le fruit. » En vérité, l’on ne saurait accueillir plus gentiment les brutalités d’un mauvais écrivain.

L’on pourrait observer que c’est manquer de courtoisie, — propos mondains ! — et de charité, pour mieux dire, d’imposer au lecteur un dur travail et enfin de lui dérober sous un voile mystérieux les idées principales. Le Tout-Puissant n’a pas révélé au genre humain sans figures ni paraboles le dernier secret de l’Univers : M. Claudel manque de modestie en imitant cette manière, n’étant pas le Créateur, mais à