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pas la ferveur imprudente. Qu’ils soient contents de voir grossir le nombre des écrivains catholiques, c’est à merveille : et l’on est bien de leur avis. Secondement, qu’ils désirent trouver, parmi les écrivains catholiques, un homme de génie, c’est tout naturel : et on le cherche avec eux. Mais ils auraient tort de négliger les questions de grammaire et de syntaxe, avant de proclamer qu’un des leurs est un écrivain ; tort aussi de distribuer les certificats de génie sans discernement. Et, s’il font dépendre de l’admiration que l’on n’a point ou que l’on a pour M. Claudel leurs brevets de paganisme ou de christianisme, c’est bien aventureux. N’ajoutez point M. Claudel aux Écritures : ou bien l’on vous reprochera de multiplier l’occasion de l’hérésie.

M. Claudel n’est pas incontestable, Dieu merci. M. Georges Le Cardonnel examinait l’autre jour, dans la Revue Universelle, les récentes publications d’un groupe de poètes « ineptes. » Il citait ce bout de phrase : « Dès la naissance, il prend fait et cause pour les trois vertus théologales et pour le principe d’Archimède qui dit : il faut mesurer le corps au corporel... » Et il avait le chagrin, là-dessus, de « penser à M. Paul Claudel, » quoiqu’il admire « la noblesse évidente de son inspiration, » quoiqu’il approuve son catholicisme : « Je me dis que lorsque, dans l’Échange, Laine s’écrie : Oh ! que je voudrais être un crapaud dans le cresson quand brille la lune sereine, voilà une impression de nature qui pourrait être, elle aussi, dada ; et cela m’ennuie. » M. Georges Le Cardonnel sait très bien que ces poètes « ineptes » sont, en somme, des anarchistes et par conséquent vont au rebours du chemin que leur indiquent les Claudeliens ; mais il est désolé de voir maintes extravagances de la littérature la pire autorisées, pour ainsi dire, par les extravagances de M. Claudel. Et M. Georges Le Cardonnel a raison : le Jeune dira qu’il sentie fagot.

Ce qui est charmant, c’est le soin de M. Pierre Lasserre à étudier l’œuvre qu’il n’aime pas, l’effort qu’il fait pour l’aimer, le regret qu’il a de n’y point réussir et le scrupule avec lequel il recueille tous les éléments d’un jugement le moins défavorable possible. Un passage de M. Claudel un peu clair, un peu analogue à du français ordinaire, il le cite bien volontiers. Il découvre par endroits des images, même bizarres, qui lui paraissent dignes de remarque ; il en signale, très complaisamment, la grandeur ou la beauté singulière. Il consulte les exégètes les plus distingués. L’un d’eux compare l’œuvre de M. Claudel « à une contrée où toutes choses, par leurs dimensions, leurs caractères, leurs raisons et leurs fins, apparaissent comme étrangères au