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tout, absolument tout est couvert d’affiches, de pancartes, d’appels imprimés, de pro-clamations, de communiqués et d’ordres du jour. Sur les vieilles affiches que nul ne songe à enlever, sont collés fraîchement les journaux du jour, car la vente au numéro n’existe pas : devant ces journaux placardés stationne un assez maigre public. Quant aux maisons, c’est pitié de les voir avec leurs portes barricadées et leurs façades délabrées : le stuc s’est émietté, les ornements de pierre se sont effrités ; à demi détachées du toit, tuiles et ardoises se balancent au gré du vent ou pendent lamentablement, menace perpétuelle pour la tête des passants. Le soir, elles sont lugubres, ces maisons ; avec leurs fenêtres sombres, où jamais ne brille une lumière, elles ressemblent à des aveugles.

Encore plus tristes, encore plus désolés m’apparaissent les palais, pour la plupart occupés par des clubs communistes. L’harmonie des lignes de leur architecture est brutalement interrompue par de grands lambeaux rouges, par des guirlandes de sapin à moitié défaites, par des portraits monstres des principaux chefs révolution-naires. A chaque instant, devant le péristyle de ces palais métamorphosés en clubs, s’arrête une automobile amenant ces messieurs aux vestes de cuir. A l’intérieur, dans les salles brillamment éclairées, c’est un mouvement, une course perpétuelle, une danse échevelée ; les sons de l’orchestre s’entendent du dehors.

Partout, à chaque pas, les traces irrémédiables de la ruine et de l’abandon. Devant le Palais d’Hiver, des montagnes de décombres que l’on n’a pas enlevés après avoir brisé le granit et les grilles du mur d’enceinte ; les portiques sont à moitié effondrés. Plus près du pont, encore des décombres : ce sont les débris du buste élevé par les Bolchéwiki à Raditcheff et que le vent a renversé. Plus loin, le piédestal de la statue de Pierre le Grand, dont l’épitaphe est maculée et à demi effacée. Le long des quais que longe le Palais d’Hiver, toujours les mêmes amas de décombres : ce sont les débris de la superbe grille qui l’entourait. Du côté de la co-lonne Alexandre, une ruine en bois d’une chose incertaine, — échafaud ou tribune ? Devant la mairie, un piédestal solitaire et sale, dont le stuc s’est détaché et qui supporte le buste de Lassalle à moitié brisé par le vent, lui aussi. Sur la place Znamenka, devant la gare de Moscou, les ruines d’une construction en bois tenant le milieu entre une