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Non seulement les journaux socialistes de l’étranger, mais les nôtres, les journaux russes, — rose pâle, — se font l’écho de ces bruits et contribuent à les répandre. La voix qui conseille de faire la paix avec le bolchévisme s’affermit et élève le ton. Plus basse et plus hésitante devient celle qui convoque à la lutte à outrance, à la lutte armée. Elles faiblissent, elles se perdent, les voix qui s’essaient à prouver la folie et l’inanité d’un accord avec une meute de politiciens insensés qui, ayant déchiré et ensanglanté la Russie jusqu’au plus profond de ses chairs torturées, menacent maintenant de contaminer l’Occident et d’y propager la même démence. Les masses populaires, surtout les ouvriers, croient aux affirmations de la presse socialiste ; dans les cercles de l’émigration russe, on ne sait plus à quoi s’en tenir. Ainsi le travail de propagande atteint son but.

Où est la vérité ? Pour pouvoir juger sainement, il n’y a qu’un moyen : voir par soi-même, s’informer sur les lieux mêmes. L’Occident ne sait rien de ce qui se passe dans la Russie des Soviets. Détachés qu’ils sont depuis tantôt trois ans de la mère-patrie, les émigrés n’ont presque plus de liens avec la Russie. Même en payant, il est difficile de se procurer des journaux soviétiques : on doit se contenter des communiqués officieux publiés dans la presse socialiste des divers pays. La lassitude générale, l’apathie, le découragement d’une lutte infructueuse de trois ans, tout concourt à troubler et à égarer les esprits.

Je veux voir et savoir. Il n’y a plus, hélas ! rien à faire au front. Je prends la décision d’aller dans la Russie des Soviets, afin de pouvoir palper la vérité de visu et auditu : voir de mes yeux, entendre de mes oreilles !

Et c’est cela, — ce que j’ai vu, entendu et constaté, — que je veux vous communiquer.


I. — L’ENTRÉE EN RUSSIE

C’est triste de quitter ce charmant Paris, de se séparer de tout ce qui fait l’agrément d’une vie cultivée : après des années passées sur le front allemand, puis dans nos armées blanches, la vie normale, la vie tranquille semble d’autant plus précieuse, et à peine en ai-je repris la douce accoutumance, qu’il me faut y renoncer de nouveau. Mais mon parti est pris. Berlin