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technique et que celui-ci absorbera sans doute, jusqu’à celles qui, se substituant à nos collèges, rompront sans brutalité avec le passé de la maison où elles s’installeront. Autant il est nécessaire que l’enseignement secondaire ne laisse pas altérer la pureté de ses lignes, autant cette souplesse et cette faculté d’adaptation d’un autre enseignement répond à d’autres exigences dont il n’y a pas lieu de faire fi. Si l’enseignement secondaire n’avait en face de lui que l’enseignement professionnel, il y aurait toujours un trop-plein qui refluerait vers lui. Les Ecoles primaires supérieures sont les véritables héritières de l’enseignement spécial devenu, nous l’avons vu, infidèle à ses origines.

Notre piété envers l’enseignement secondaire ne nous fait donc oublier aucune des autres formes d’enseignement comme aucune des nécessités présentes. Mais il ne faut pas laisser croire que cette piété ne soit qu’une forme de dilettantisme, ou du moins le culte obstiné d’un passé devenu inutile dans un temps où le présent commande impérieusement notre « attention à la vie. » Dans une conférence intitulée L’Éducation après la guerre, et dont les préoccupations sont par conséquent les nôtres, le président Butler reprend une question que s’était posée Spencer : quel est le savoir le plus utile ? Et, condamnant « ce produit allemand qu’est une science économique n’ayant aucun but plus élevé que le profit matériel, » et la psychologie allemande, « psychologie sans âme, » il se félicite, en fin de compte, de voir renaître aux Etats-Unis le goût des études classiques, anciennes. Voilà donc, pour nous américaniser, la formule la plus récente. Une grande voix française, entre autres, devant ce même problème des fins dernières de l’éducation, a trouvé des notes qui donnent à la pensée comme une forme d’éternité. « Si les Grecs, écrivait Henri Poincaré, ont triomphé des Barbares, et si l’Europe, héritière de la pensée des Grecs, domine le monde, c’est parce que les sauvages aimaient les couleurs criardes et les sons du tambour qui n’occupaient que leurs sens, tandis que les Grecs aimaient la beauté intellectuelle qui se cache sous la beauté sensible, et que c’est celle-ci qui fait l’intelligence sûre et forte. » Les dernières victoires de cette beauté intellectuelle sont d’hier. N’oublions pas que nous les lui devons. Et ne souffrons pas que jamais, dans l’éducation française, la matière opprime l’esprit.


RAYMOND THAMIN.