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Pourquoi, disent les uns, les langues vivantes ne remplaceraient-elles pas le latin dans l’enseignement classique ? Elles y apporteraient aussi bien cet élargissement de la culture dont nous avons dit qu’il était la définition de l’éducation libérale, et en même temps elles continueraient d’être pratiquement utiles : enseignement à deux fins. Mais de quelle langue vivante s’agit-il, s’il vous plait ? Il y en a quatre dites fondamentales. A toute bonne raison de choisir l’une d’elles d’aussi bonnes raisons de choisir telle ou telle autre s’opposent. Et on frémit en songeant à celle à laquelle, il y a trente ans, on eût peut-être donné la préférence. Nous aurons donc plusieurs enseignements concurrents, ce qui est grave quand ces enseignements ne sont plus l’accessoire, mais le principal. L’esprit français laisserait quelque chose de son unité dans cette aventure. Les « compagnons » ont fait valoir un autre argument, et l’ont développé avec une ardeur combative qui n’est pas pour déplaire : « A se frotter continuellement a une humanité étrangère, on finit par lui prendre quelque chose. » Les réformateurs de l’enseignement des langues vivantes accepteraient cette prémisse. Ils ont bien voulu « frotter » leurs élèves au pays dont ils leur enseignaient la langue. « Or, réfléchissez bien : vous allez prendre comme base de la nouvelle culture l’étude de l’étranger, quel que soit d’ailleurs cet étranger... C’est le monde étranger qui sera notre éducateur... C’est tout de même raide, quand on est la France. » Le latin n’éveille pas de ces patriotiques susceptibilités.

D’ailleurs, entre les deux fins de l’enseignement des langues vivantes, dont nous parlions, je crains bien qu’il n’y ait antinomie. Et la méthode directe accuse cette antinomie. Rien en elle ne contribue à la formation ‘de l’esprit. Et ce commencement utile, nécessaire peut-être, marque tout l’enseignement des langues vivantes de son empreinte. On a tout dit sur la valeur éducative de la version, qui est essentiellement un exercice d’analyse, analyse grammaticale, analyse des idées. Mais un bon élève de la méthode directe ne fait pas une version anglaise ou allemande comme on fait une version latine. M. Gastinel a décrit avec pénétration l’opération intellectuelle du traducteur qui a subi ce genre d’entraînement. « Il fait fonctionner son mécanisme linguistique français, comme il faisait fonctionner son mécanisme linguistique allemand ou anglais, et de façon à produire des effets sémantiques analogues ; il ne décompose