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familles vouées à l’agriculture, au commerce et à l’industrie, et l’enseignement spécial rendait à ces carrières les élèves qu’elles lui fournissaient. Des causes graves de faiblesse subsistaient, dont le temps et des mesures appropriées eussent peut-être triomphé. On avait créé l’enseignement avant d’avoir formé le personnel. C’est le cercle vicieux dans lequel bien des réformes s’embarrassent. Aussi faut-il toujours être indulgent à leurs débuts. L’Ecole de Cluny, école normale de l’enseignement spécial, manqua de prestige ; elle parut par trop provinciale. Pour attirer les élèves, on avait conçu l’enseignement de façon à ce que chaque année format un tout. Il n’y avait pas de cours régulier d’études, mais, disaient les instructions annexées à la loi, « un ensemble de cercles concentriques. » Les élèves comprirent trop bien l’invitation et abusèrent de la permission. Le contingent d’élèves fut allégé d’un quart environ chaque année. Cinq pour cent seulement allaient jusqu’au bout. Enfin l’enseignement spécial vivait côte à côte avec l’enseignement classique, dans les mêmes établissements, sauf de rares exceptions. Il avait dès lors rang de parent pauvre. C’est presque une loi qu’un type d’enseignement ne prospère que s’il a sa maison à lui, avec des chefs et des maîtres dont il est toute l’affaire, et des élèves qui ne se sentent pas diminués par des contacts et des comparaisons. Le succès de Turgot et de Chaptal est une démonstration de cette loi.

Mais l’enseignement spécial n’eut de pires ennemis que ses amis. On voulut le hausser en dignité jusqu’à l’enseignement voisin. Chacun proposa, à cet effet, quelque addition au programme qui y jouât le rôle de décor : pour les uns les langues vivantes, pour les autres, ce qui était chercher le paradoxe, un peu de latin. On s’ingénia aussi à fondre les deux enseignements dans certaines de leurs parties, et à faire l’enseignement spécial le moins spécial possible. Puis vint la question des sanctions. On n’eut de cesse que l’enseignement spécial n’eût son baccalauréat a lui. La supersti-tion du baccalauréat est, on le sait, une des mieux ancrées dans les esprits de ce temps. Et, quand on eut conquis pour lui ce fétiche, il fallut que ce baccalauréat nouveau ouvrit toutes les mêmes carrières que l’ancien, le vrai.

Cette ascension, par étapes successives, de l’enseignement spécial, se répartit sur un espace de dix années. Elle est aidée par les progrès des écoles primaires supérieures renaissantes qui