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DE L’ENSEIGNEMENT SPÉCIAL A LA RÉFORME DE 1902.

La création de l’enseignement spécial avait un double objet, et eût pu avoir un double résultat : donner l’enseignement qui lui convient à une clientèle déterminée, sauvegarder le caractère de l’enseignement classique en détournant de lui ceux pour qui il n’est pas fait, mais qui viennent à lui, faute d’autre direction ouverte, et l’abaissent à leur niveau. Car telle est la rançon du nombre : un idéal, quel qu’il soit, pédagogique, religieux ou politique, s’altère quand le nombre de ses adeptes dépasse la mesure qui lui convient. L’enseignement spécial, l’enseignement secondaire spécial, pour lui donner son titre complet, date de la loi du 21 juin 1865. Il est l’œuvre de Victor Duruy. Mais ce ne fut pas une œuvre improvisée pendant la durée d’un ministère, quoique cette durée fût un peu plus longue alors qu’aujourd’hui. L’idée de l’enseignement spécial est très ancienne. L’auteur d’un Traité des études, qui n’est pas celui de Rollin, mais qui fut aussi très goûté, Claude Fleury, disait au commencement du XVIIIe siècle : « Les praticiens, les financiers, les marchands et tout ce qui est au-dessous peuvent se passer de latin ; l’expérience le fait voir. » Nous savons déjà que les réformes pédagogiques ont une démarche lente ; un siècle après, Victor Cousin disait à son tour : « Un cri s’élève d’un bout de la France à l’autre, et réclame pour les trois quarts de la population française des éta-blissements intermédiaires entre les simples écoles élémentaires et nos collèges. C’est une affaire d’Etat. » Des essais furent tentés sans beaucoup de méthode. Les noms mêmes des établissements qui se succèdent témoignent d’une hésitation sur leur véritable objet, que nous verrons peser sur toute l’histoire de l’enseignement spécial : Écoles supérieures universitaires ; Collèges industriels ; Écoles professionnelles ; Col-lèges scientifiques ; Collèges français. Le nom d’établissements d’enseignement secondaire spécial avait lui-même été mis en avant en 1847. Enfin, après plusieurs années d’élaboration, vint la loi Duruy.

Elle répondait si bien à un besoin que la clientèle ne se fit pas attendre. Et, ce qui était un véritable succès, cette clientèle était bien celle que l’on voulait atteindre. D’après les statistiques reproduites et commentées par M. Gréard, elle venait de