représentons, que nous le voulions ou non, la latinité dans le monde. Et, en ce moment, c’est par notre intermédiaire que beaucoup de jeunes nations cherchent à se rattacher aux ancêtres de toute civilisation humaine. La culture française, ne fùt-elle que la culture française, exercerait sans doute une attraction qui ne craindrait aucune comparaison. Devant les nations latines, devant celles de l’Amérique par exemple, quelle force supplémentaire pour elle cependant, si quelque solidarité continue à la lier à la culture latine, et quelle facilité plus grande pour notre propagande ! Nous ne nous présentons plus seuls, mais avec un passé qui n’excite pas de jalousie. Et de même que, dans le latin, c’est le grec encore que nous aimons, dans le français, c’est le latin que quelques-uns provisoirement croiront aimer. Ne négligeons pas pour notre propre culture cette alliance utile dans les conflits futurs.
Voici cependant une nation, nation amie et nation latine, qui, après avoir fait l’essai du latin dans son enseignement, le répudie et le remplace par le français. N’est-ce pas là une leçon qui nous est donnée, et serons-nous moins amis de nous-mêmes que nos amis ? Nous répondrons que, pour les Roumains (c’est d’eux en effet qu’il s’agit), l’éloignement dans l’espace s’ajoute à l’éloignement dans le temps, et qu’ainsi nos classiques bénéficient d’un recul plus grand. Pour ceux du XVIIIe et du XIXe siècle au moins, la chose n’est pas indifférente. Mais il y a autre chose à dire. C’est justement parce que nous voulons que le français joue ce rôle pour toutes les nations qui nous demandent des professeurs, après nous avoir demandé des instructeurs militaires, que le français doit, en ce qui le concerne, rester en contact avec les lettres latines, pourquoi ne pouvons-nous plus dire avec les maîtres du latin eux-mêmes, avec les Grecs ? Il faut que le maître français continue à puiser aux sources vives dont il répand ensuite les bienfaits. Il est, pour ceux qui se mettent à son école, l’initié qui a vu la beauté antique face à face. Plus tard seulement il pourra se passer de ce supplément de prestige. — Ainsi notre victoire même nous lie, d’un lien raffermi, à notre éducation traditionnelle. Il nous est défendu d’y renoncer quand une partie du monde aspire vers elle, et vient nous en demander les leçons.