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siècle présent. Le prochain siècle reprendra la question, soyons-en sûrs.

Il y a les arguments de toujours. Une éducation libérale a pour fonction essentielle de nous libérer de nous-mêmes, et de nous faire voir le présent et l’immédiat avec une sorte de recul. Or la connaissance d’une autre civilisation et d’une autre littérature est la meilleure voie qu’on ait encore trouvée vers cette libération. L’esprit n’a qu’à s’ouvrir pour s’émanciper, et c’est déjà un progrès que de se comparer. C’est en ce sens élevé que les voyages forment la jeunesse. Mais un voyage dans le passé est plus instructif, parce que le temps a laissé tomber ce qui ne méritait pas de durer, et qu’il s’est fait à notre usage un triage de ce que ce passé avait d’essentiel et de ce qu’il garde de vivant jusque dans la mort. Et si ce passé est le nôtre, si c’est avec sa substance que nos âmes à nous ont été pétries, nous avons ce privilège, pour nous élever au-dessus des contingences présentes, de n’avoir qu’à remon-ter à nos propres origines, et de trouver l’instrument de notre libération dans notre tradition même. Nous éprouvons une joie saine à nous plonger dans ce passé comme dans notre milieu naturel. Nous nous connaissons mieux nous-mêmes pour avoir revécu nos propres sentiments dans leur naïveté et leur vigueur primitives. Nous retrempons notre conscience comme à sa source, en contemplant les idées morales dont elle est faite, sous la forme d’esquisses si fermes, en profils si nets, qu’elles apparaissent, écrit un théoricien délicat de l’éducation clas-sique, « un peu comme les figures qui découpaient leurs silhouettes inoubliables sur le pur azur des métopes. » En même temps, la langue qui les a ainsi une première fois traduites, n’étant plus soumise au changement, confère à ces mêmes idées sa propre immutabilité et les fixe dans un lointain mystérieux. Une langue morte est bien faite pour exprimer ce qui est immortel. De cette langue encore, c’est de la latine que nous voulons parler, on a dit et répété qu’elle était, dans sa structure rigide, un robuste outil à former l’esprit logique ; on a dit que rien ne vaut la comparaison des deux grammaires, avec leurs contrastes et leurs analogies, et la traduction d’une langue dans l’autre pour mieux apprendre le français lui-même, et qu’il était plus facile de le parler purement à qui s’était abreuvé au courant qui lui a donné naissance.

Tous ces arguments mériteraient de plus amples développements.