ce serait trop de lui consacrer cinq ans et même trois. Le latin réduit serait, dans nos programmes, un souvenir du passé, une vieillerie encombrante ; il n’aurait plus de raison d’être véritable. Nous ne dirons pas, comme on l’a fait, qu’il faut qu’il soit tout ou rien. Mais son rôle, s’il n’est essentiel, est nul.
Avouons-le cependant, nous ne croyons pas, d’une foi assurée, à la perpétuité du latin, ni à l’immutabilité d’un programme d’éducation, si bien fait qu’il soit. Ce que nous avons raconté suffirait à ébranler tout dogmatisme pédagogique, et à enseigner le mouvement aux plus réfractaires. Il y a une vie des programmes, de même qu’il y a une vie des mots et des institutions, de même qu’on va jusqu’à parler d’une vie des dogmes. L’enseignement, aux vicissitudes duquel l’histoire pédagogique de ces derniers siècles nous a fait assister, a été lui-même, à ses débuts, une révolution. La rhétorique a chassé la scolastique dont la rude discipline a sans doute donné à l’esprit français sa rigueur dialectique et son impérieuse clarté. De cette scolastique il reste juste un chapitre dans nos cours de logique, et un chapitre qui de jour en jour va se rétrécissant. De la rhétorique à son tour le règne est à son déclin. On a même supprimé le mot pour s’encourager à exorciser la chose. Si le culte du beau et l’enseignement des belles-lettres constituent encore l’essence des humanités, cet enseignement lui-même se pénètre de plus en plus de méthode scientifique. Maison peut prévoir le moment où l’enseignement des sciences, devenu de plus en plus envahissant et encombrant, sera en butte lui aussi à des critiques, et où l’éducation physique et l’enseignement profes-sionnel par exemple, ou plutôt, je l’espère, une pédagogie encore intellectuelle, mais d’un ordre inédit et imprévu, brigueront sa succession. Tolstoï fît un jour une prophétie ana-logue.
Ces réflexions ont pour objet de donner un sens précis à la discussion qui va suivre. L’abbé de Saint-Pierre, toujours un précurseur et un paradoxal, a écrit dans l’avant-dernier siècle : « Un jour viendra que nous sentirons que nous avons moins besoin assurément de savoir le grec et le latin que le malabrais et l’arabe. » Ce jour qu’il annonçait est-il venu en ce qui concerne le latin, comme ses défaites successives pourraient le faire supposer ? Le moment est-il opportun d’en précipiter la décadence et d’en hâter les derniers moments ? Nous croyons tout le contraire. Nous parlons pour aujourd’hui et pour le