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accentuera la réaction en faveur du latin, et les sciences subiront le sort fait aux lettres vingt ans auparavant, d’attendre les classes supérieures, et même finalement la classe de philosophie, défaveur cachée sous l’apparence d’un honneur. Et dès lors le latin deviendra réactionnaire. L’enseignement de la philosophie et celui de l’histoire suivent les progrès des idées libérales, et cela s’explique. On s’expliquerait moins que le latin eût une couleur politique, si le gouvernement de la Restauration ne la lui avait ainsi im-primée.

Il résulte de ce que nous venons de dire que le gouvernement de Juillet marquera un léger retour vers les sciences. Le ministère de Villemain correspond à une période de sage équilibre. Mais, malgré ces trêves passagères, le duel est nettement engagé maintenant entre les sciences et les lettres. Il eut son expression magnifique dans un débat où les deux champions furent Arago et Lamartine. Arago avait dit : « Ce n’est pas avec de belles paroles qu’on fait du sucre de betterave ; ce n’est pas avec des alexandrins qu’on extrait la soude du sel marin. » Puis, mettant en avant un argument politique, d’ailleurs contestable, il ajoutait : « C’est par les sciences que les préjugés sont tombés à jamais. » Lamartine rêve d’une harmonie possible entre les deux rivales. Mais si, par malheur, il fallait choisir, son choix est fait. « Si le genre humain était condamné à perdre entièrement un de ces deux ordres de vérités, ou toutes les vérités mathématiques, ou toutes les vé-rités morales, je dis qu’il ne devrait pas hésiter à sacrifier les vérités mathématiques ; car, si toutes les vérités mathématiques se perdaient, le monde industriel, le monde matériel subirait sans doute un grand dommage, un immense détriment ; mais si l’homme perdait une seule de ces vérités morales dont les études littéraires sont le véhicule, ce serait l’homme lui-même, ce serait l’humanité entière qui périrait. » Et il concluait, tou-jours éloquemment, en faveur de ces langues « que vous appelez mortes et que, moi, j’appellerai immortelles. »

Et le duel continua. Il continue encore. Lamartine et Arago prirent seulement d’autres noms, parfois presque aussi grands. Par surcroit, les langues vivantes, l’histoire, sans parler de la géographie, et bientôt le chant, le dessin et la gymnastique viennent compromettre, avec des exigences qui se justifient d’ailleurs, l’équilibre par moments rétabli entre les sciences et