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Mais ces jeux aussi sont usés
Comme un exercice au trapèze,
L’escamoteur, le clown, la fille aux chimpanzés,
Tout nous ennuie et tout nous pèse.




Cependant, te voici devant un gouffre noir.
Guidé par des lampes de poche,
Tu plonges sans rien voir.
C’est ici que la trame du Temps s’effiloche.
Ici, l’on dort les yeux ouverts.
Dormir ! n’est-ce point là ta plus profonde envie,
Cœur charnel, amoureux, malgré tout, de la vie,
Et pourtant inquiet de quelque autre univers ?
Mais le sommeil, les soirs de grande lassitude,
C’est encore un travail, c’est encore une étude ;
Et, lorsqu’enfin tu dors, ton cerveau harassé
Ne peut plus, le vieux saltimbanque,
Soulever les poids du passé.
L’ardeur lui fait défaut et le souffle lui manque
Pour dresser les décors d’un monde rajeuni.
Ton sommeil, c’est ta vie, hélas ! qui se prolonge :
Tu revois dans un mauvais songe
Jusqu’au papier de ton garni.

Dans ces ténèbres accueillantes,
Viens, tu goûteras le repos.
Point de tréteaux, point d’oripeaux,
Rien que des images fuyantes.

Une humanité sans couleurs,
Mais si lumineuse, si nette !
Des arbres noirs, de blanches fleurs,
Le ciel gris d’une autre planète.

De musique, entre bas et haut,
Juste, tout juste ce qu’il faut
Pour accompagner un prodige.
Ne bouge plus, tu dors, te dis-je !