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Le temps n’existe plus, la Ville aussi s’efface,
Car les lits du bonheur en tous lieux sont pareils :
Partout ce glissement des cheveux sur ta face,
Ces souffles chauds et ces sommeils.

Cependant que la foule aux lumières se rue,
Quêtant un plaisir incertain,
J’ai pour compagnon dans la rue
Caresses de la veille et baisers du matin.

Je porte dans cette ombre une invisible armure,
Faite du souvenir de nos instants profonds.
Tu parais, et mon sang murmure,
Comme un orchestre au loin sous de vastes plafonds.

Dans la beauté des paysages
Autrefois je cherchais un triste réconfort.
Maintenant un visage entre tous les visages
Suffit à me voiler la Mort.

Ce même carrefour dont jadis le vacarme
Me paraissait l’écho de mon propre tourment,
Voilà qu’il chante un hymne au destin qui désarme ;
Voilà que, dans mon œil, le prisme d’une larme
Change en miroirs de fête un noir ruissellement.




Mais nous, les fronts vides,
Nous, les lâches cœurs,
Nous sommes avides
De fortes liqueurs.

Notre âme est esclave
Du café de nuit
Où l’éponge lave
Le zinc qui reluit.

Lourde ivresse, assène
Ton poing sur nos yeux,
Sonne, rire obscène,
Dans les mauvais lieux.