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Et je songe, écoutant ces voix :
La minute fait semblant d’être
Une minute d’autrefois.
Que le masque du monde est traître !

Une cité d’Europe est un miroir qui ment :
Ses jardins, ses palais antiques,
Jusqu’aux enseignes des boutiques,
Tout y change si lentement !

Sauf que sur ces pavés jadis battus du fiacre,
Le taxi répand son odeur dans l’air,
J’ai sous les yeux le simulacre
De quelque soir d’un autre hiver.

Mais, soudain, le sol manque et l’abime se creuse.
J’appelle par leurs noms mes amis qui sont morts.
N’est-il donc point de vie heureuse
Qui soit pure de tout remords ?

Chaque heure est un tissu de fausses ressemblances,
Et l’on parle ici-bas du retour des saisons !
Non, ce sont d’autres bruits, ce sont d’autres silences !
Tout vieillit : cœur de l’homme et plâtre des maisons.

Amis disparus dans les flammes,
Amis fauchés par un grand vent,
Vous, c’est d’un sombre vin que s’enivraient vos âmes :
Vous avez oublié la tombe en la bravant.


IV


Autour des globes roux le brouillard met des franges
Qui les font ressembler à des bourdons velus ;
Il construit des palais étranges
Où le fracas du soir ne s’entend presque plus.

Entre les murs de fumée
De ce corridor trompeur,
Ta souffrance accoutumée
N’est aussi qu’une vapeur.