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Le soir allume ses lanternes,
Les cabas heurtent les pliants,
Et les taxis vers les tavernes
Emportent leurs nouveaux clients,

Ceux que leur chance un moment dupe,
Et qui, déjà soûls, débraillés,
Rêvent, blottis contre une jupe,
De lendemains ensoleillés.

O Mort, il faut bien qu’on t’oublie,
Puisqu’on t’implorerait en vain !
Chacun son bandeau, sa folie,
Chacun sa morphine ou son vin,

Sa religion vraie ou fausse,
Chacun son vice ou son devoir,
Pourvu que, marchant vers la fosse,
On arrive au bord sans la voir.


II


Rien, ni le sang versé dans les luttes civiles,
Ni l’holocauste immense offert au sol natal,
Rien ne peut nous sauver des lois du Temps, ce mal
Qui plus qu’ailleurs nous ronge entre les murs des villes.

Ah ! déjà, dans le cri de l’enfant nouveau-né,
S’exhale la douleur de l’être condamné.
Déjà, le corps, roulant sur l’effroyable pente,
En lutte avec son propre poids,
Se raidit, se raccroche à l’aube enveloppante,
Mais l’aube glisse entre ses doigts.

Et l’enfant grandit, l’enfant joue...
D’où vient que dans ses jeux sa voix tombe soudain ?
Comme une brusque averse assombrit un jardin,
Quel invisible doigt touche et fane sa joue ?
Il cesse de courir, il regarde un tison
Flamber, fumer, s’éteindre, et pleure sans raison :
Première vague horreur de la Mort pressentie.