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Sourds à ce que chuchote en tournoyant la feuille,
Ils ont peur du silence où l’âme se recueille,
Mais un taxi qu’on frète à six,
Un amer, un vermouth-cassis,
Voilà leur cœur déjà qui s’échauffe et se grise,
Pauvre feuille lui-même au gré d’une autre brise.

Paresseux et malchanceux,
Déclassés de tous les types,
Ceux qui rient encore et ceux,
Boutonnés dans leurs principes,
Qui mâchent de courtes pipes,
Hâtez-vous, melons graisseux,
Vaniteuses vieilles nippes !

Dames veuves qui tenez
Le Jockey dans vos mains rouges,
Enfants des bars et des bouges,
Gamins soufflant par le nez
Deux jets de vapeur bleuâtre,
Sourcils d’encre et fronts de plâtre,
Modiste au bras du bellâtre,
Trottinez et clopinez !

Maintenant rassemblés sur l’immense pelouse,
Les voilà qui font queue aux guichets des paris.
O fortune avare et jalouse,
C’est l’instant où tu leur souris.
La minute où les doigts tremblent
En ouvrant les sacs à main,
Où tous les vieux rêves semblent
Se nourrir du mot demain
Comme des mouches qui pompent
Un morceau de sucre noir ;
La minute ivre d’espoir
Où dans la brume s’estompent
La tristesse et le remord ;
La minute où l’on oublie,
Où le billet qu’on déplie
Masque tout, même la Mort.