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L’OUBLI
POÈME

I


Ah ! voici le gazon qui console des pierres,
Et l’arbre fort, debout au tournant du chemin,
Qui, dans un geste large, étend sur nos paupières
La bénédiction de sa puissante main.
La cité monstrueuse au travers des ramures
Confond sa voix lointaine avec les doux murmures
Du vent et les appels d’invisibles oiseaux.
La biche fait un pas sur la mousse craquante,
Et, pour rendre la paix du jour plus convaincante,
Le cygne ajoute encore au calme heureux des eaux.

Comme un liquide noir ruisselle d’une éponge,
La foule alors jaillit de l’enceinte des murs :
Des filles et des hommes mûrs,
Des boas fripés et des mentons durs.
Le défilé sous bois s’allonge...
Une flèche blanche, un seul mot : Longchamp.
L’auto-car bondé vire et prend l’allée.
Sa trompe dans les cœurs résonne comme un chant
D’espérance avant la mêlée ;
Sur tous ses gradins, dans les yeux bouffis,
Même usure ardente et mêmes défis.

Qu’importent a ceux-là les couleurs de l’automne,
Les songes, los parfums montant d’un sol mouillé,
Et ce pâle soleil dont le regard s’étonne
Comme d’un vieux vin dépouillé.