Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 64.djvu/152

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

meilleur, cette ville recueillie, ce préau paisible et ce bon ami. Dans ces sentiments, et pour employer les termes dont le P. Pouget usa à beaucoup d’années de là à propos de La Fontaine, elle « reçut le Saint-Viatique avec un extérieur qui marquait une profonde humiliation et de grands senti-ments de piété. »

Frappé dans l’affection la plus chère qu’il eût connue jamais en sa vie, François de Maucroix, fou de chagrin, les yeux secs à force d’avoir pleuré, assista à la levée du corps à laquelle, comme d’usage, vinrent procéder les couventines. Ainsi, entre les cierges, au milieu des larmes, et tandis que le grondement de la cloche Charlotte ébranlait Notre-Dame, on eût dit le beau chœur des servantes de Pluton emportant la pauvre Eurydice, l’Eurydice inanimée du poète, vers le noir empire.

Tallemant, qui sut ces choses, en a parlé avec tout le respect qu’inspire la douleur. « Je n’ai jamais vu, dit-il, en nommant le chanoine, un homme si affligé, et, à cause de lui, je me suis réjoui de la mort de cette belle, parce qu’il était en un tel état, que je ne sais ce qui serait arrivé. » Au dire de Tallemant, Maucroix aurait été « plus de quatre ans à s’en consoler. » A quoi Louis Paris, autrement édifié que Tallemant sur les suites du deuil qui frappa Maucroix, répond que ce ne fut pas pendant quatre ans, mais bien pendant quarante, que le chanoine rémois porta dans son cœur le regret de la belle Diane.

A quarante années de là, en effet, vers 1690, alors qu’il était déjà, pour employer l’expression de La Bruyère sur Santeul, un « enfant à cheveux gris, » il advint à Maucroix, parmi de vieilles lettres, des brouillons épars de traductions de Lactance et de saint Chrysostome, de retrouver ce portrait parlant, pétri de toutes les grâces du modèle, et que M. de La Fontaine et lui, alors qu’ils étaient des hommes ardents et jeunes, avaient admiré tant de fois, du vivant de Charlotte-Henriette, au « benoît préau. » « Par le plus grand bonheur du monde, écrit alors cet admirable et constant vieillard, j’ai retrouvé un portrait de la personne que j’ai le mieux aimée. Combien y a-t-il ? Plus de quarante ans ! Ce sont bien des ans ! J’en fais faire une copie, la copie est presque achevée : elle ressemble fort à l’original qui ressemblait fort à la belle. J’en ai une joie, je ne m’en sens pas... toutes mes plaies se sont rouvertes ! »

Au milieu de tant d’épreuves, de regrets persistants et de