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temps. » A peine mariée, cette petite s’était, paraît-il, mise à jouer à la précieuse. On l’avait vue à Château-Thierry, sur le Beau-Richard, s’afficher avec des galants ; les romans de chevalerie, dont elle se farcis-sait l’esprit, avaient achevé, dit-on, de lui donner toute sorte d’idées extravagantes sur la réalité du mariage et du monde ; si bien que notre Bonhomme, l’ayant plantée là, était parti depuis la veille de Chaury et, venant de pénétrer dans Reims par la porte Dieu-Lumière, se dirigeait du côté du cloitre, vers cette rue Saint-Etienne où son bon ami, le chanoine Maucroix, était à l’attendre.

Encore que le bruit que faisaient les tonneliers, tout au long du faubourg Barbâtre, en ferrant des feuillettes et cerclant des barils auprès des pressoirs en activité, emplit l’air de tumulte, M. de La Fontaine allait méditant de ces choses, et comme les bâtiments archiépiscopaux, les flèches, les deux tours et la galerie des rois avec la basilique se montrèrent tout à coup à sa vue au-dessus des maisons, il pensa que Maucroix pouvait à cette heure matinale se trouver encore à l’office. Aussi, après avoir fort poliment mis le chapeau à la main, M. de La Fontaine, ayant pénétré, gagna-t-il le chœur et revint-il par la nef ; mais, dans le vaisseau désert, tout ce qu’il aperçut ce fut le jeu du soleil dans les rosaces en fleur, puis, tout en haut du sixième pilier de droite, de petits oiseaux vifs jasant et pétillant, entrés par quelque trou des vitraux et qui semblaient s’être disposé un nid dans le chapiteau des Vendanges.

Ces jeux irisés de la lumière, ce pépiement des oiseaux eussent, dans un autre temps, suffi à retenir longtemps notre Bonhomme ; mais, en vérité, dans ce cœur changeant, l’inquiétude, par une exception singulière, était ce matin la plus forte, le tourment le plus acharné. Dans de telles dispositions, il n’y avait que M. de Maucroix qui fût en état de dissiper l’une et l’autre ; aussi M. de La Fontaine n’eut-il de cesse qu’il ne fût parvenu au logis de son ami ; mais là, le Champenois se heurta à un autre obstacle qui était que la Sillon, la servante du chanoine, était à se débattre, sur le pas de la porte, au milieu de poissonniers qui lui apportaient, pour le maigre de son maître, des truites encore à demi vivantes et se débattant sur un beau lit d’herbes.

Au bruit que faisait cette discussion, Maucroix accourut et