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Si je vous perds un an, je vous perds pour toujours ;
C’est fait de moi sans doute, et vous le pourrez dire :
Alcidon a fini ses jours.


La destinée a de ces ironies. Ces vers, que Lénoncourt faisait écrire par Maucroix en ba-dinant et que Maucroix, le cœur déchiré, composait pour Charlotte-Henriette, Mlle de Joyeuse ne les connut que peu de temps avant que lui parvint la nouvelle de la mort inopinée du marquis, frappé devant Thionville, au cours d’un assaut, par une décharge de mousquetade qui vint l’atteindre au-dessus de l’œil.

Aussi bien, Lénoncourt disparu, Cliton pouvait penser, que le dieu du Tendre, prenant pitié de lui et voulant récompenser sa constance, Fallait marier enfin à sa belle amie ! Mais, hélas ! c’était un soupirant et, comme l’on disait alors en jargon de précieuse, un mourant bien naïf que Maucroix ! En ce temps-là, son cœur manquait de malice, sa jeunesse n’avait pas d’expérience. Ni Vaugelas, ni Chapelain, ni Benserade n’avaient disserté encore devant lui sur les inconvénients que l’honnête homme, dans de semblables conjonctures, éprouve, d’une façon souvent bien imméritée, de la part d’objets non moins frivoles qu’aimables. « La belle chose que ce serait si d’abord Cyrus épousait Mandane et qu’Aronce, de plain-pied, fût mariée à Clélie ! » Oui, vraiment, la belle chose ! Peut-on penser au « bourgeois, » au « vulgaire » que présenterait une union engagée avec cette hâte ? Est-ce qu’il ne faut pas que le mariage (la Madelon de Poquelin le demandera, dans les Précieuses, un jour au parterre) ne doit pas arriver « qu’après les autres aventures ? » N’a-t-on pas le temps de se résigner à ses chaînes ? Mais le roman, d’abord, le roman !

C’est ainsi que, sous l’influence qui tourneboulait alors, de Paris à Reims, les têtes des belles frondeuses, des riantes coquettes, Charlotte-Henriette perdit le temps le plus utile à coqueter et à badiner. Non pas que Maucroix n’obtint au moment quelques petites pri-vautés de ce cœur instable ; mais, à cela près, comme toujours, il fut timide, n’osa pas ; bref, les violons, cette fois-là encore, se montrèrent sans lui. Et ces violons, ces violons plaintifs, impérieux et doux, voilà que ce fut une sorte de grand escogriffe, auquel Maucroix jusque-là n’avait pas pris garde, qui ne tarda pas à venir, à Reims,