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bonne maison de Lorraine, parût chez les Joyeuse, pour que ceux-ci, dont les affaires n’étaient pas à ce moment-là moins dérangées que la conduite, aperçussent aussitôt, dans ce garçon de bonne mine, un gendre des plus propres à flatter leurs goûts et relever leur crédit. Que l’on pense alors aux affres de Maucroix, familier de la maison, en voyant ce rival inattendu, bien reçu des parents, papillonner autour de Charlotte-Henriette. Et les mille morts que notre berger, notre Cliton de pastorale, dut souffrir en recevant les confidences que le petit Lénoncourt, — qui ne connaissait rien de la flamme de Mau-croix pour Mlle de Joyeuse, — vint faire sur la belle Diane (ainsi le futur chanoine par respect nommait Charlotte-Henriette dans ses poésies) au pauvre amoureux. Hélas ! rimait à ce moment, dans son désespoir, notre garçon de Champagne, avec cette douceur, cette sensibilité qui rehaussaient ses bluettes d’un ton de passion tendre :


... Hélas ! mes soupirs des vents sont emportés,
Et n’étant point connus, ils ne sont point comptés...


Le pire est que Lénoncourt, que la mort de son père avait élevé au titre de marquis et les bontés du Roi à la dignité de gouverneur de Lorraine, s’appliquait, à mesure que la fortune lui prodiguait d’honneurs, à resserrer cette amitié entre Maucroix et lui, au point qu’il semblait que ce fût le gentilhomme et non l’avocat qui se montrât le plus attaché à cette liaison. Un peu plus, et ils fussent devenus des amis, de francs compagnons. Et cela était au point que, sans la campagne de 1643 qui amena la guerre en Lorraine et força Lénoncourt à rejoindre l’armée de M. le Prince, Maucroix eût dû assister, le cœur déchiré, au mariage du mar-quis et de Charlotte-Henriette. Cependant, avant de quitter celle-ci, Alcidon « c’était un nom amoureux que portait Lénoncourt) s’en fut trouver Cliton (qui était Maucroix), et c’est encore Cliton qui rime pour Diane, au nom d’Alcidon, ces vers enrubannés qui semblent, par leur ton précieux, composés plutôt aux bords du Lignon que sur ceux de la Vesle :


A Mademoiselle de Joyeuse.

Faut-il que je vous quitte et qu’un cruel devoir
Me prive plus longtemps du plaisir de vous voir,
Beauté dont mon âme est ravie ?