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parvenaient devant Sainte-Euphraise et que déjà, au loin, l’on commençait de découvrir les toits et les flèches de Reims, M. de La Fontaine pensa que, pour parler de choses à la fois si redoutables et si douces, un banc placé à l’ombre, sous le rideau de feuillage de quelque bouchon, serait mieux à même de les accueillir. Précisément, à l’entrée du raidillon qui descend du hameau de Sainte-Euphraise à celui de Clairizet, ils découvrirent, — au-devant d’une petite place où quelques vignerons étaient à jouer aux quilles, — un cabaret accueillant masqué sous les arbres. C’est là qu’ils prirent place non sans avoir essuyé de la part de l’hôte les plaintes que l’aspect désolé de la « benoîte montagne » leur valait encore.

M. de La Fontaine, qui venait de s’asseoir devant un gobelet plein jusqu’au bord, n’attendait que ce moment pour reprendre où il l’avait laissé le discours commencé de-vant M. de Maucroix.

— Mon garçon, dit-il en prenant à témoin le maître du bouchon, et sur ce ton narquois qui était dans sa manière, est-on jamais satisfait ? Ainsi, tel que vous me voyez, inconstant, volage, occupé de cent pensées et, comme une abeille, ne rêvant que de me poser sans me fixer au calice des fleurs, apprenez que j’ai l’esprit travaillé de projets de mariage. Et mon ami que voilà, à qui le mariage a manqué, ne serait satisfait, m’assure-t-il, que s’il était chanoine. Le pis est qu’il hésite et que, l’esprit travaillé d’un doute amer, il en est à se demander, avant de s’engager dans des voies aussi redoutables, s’il ne vaudrait pas mieux pour lui et pour moi, jouer notre destin aux quilles avec ces garçons qu’on voit devant votre auberge.

Le cabaretier croyant, à ces mots prononcés sur un ton un peu badin, flairer quelque impiété de la part des voyageurs, discrètement s’éloigna en affectant de rire.

C’est alors que M. de Maucroix, tourmenté du chagrin où l’avaient laissé les épousailles de M 1, e de Joyeuse, sans s’arrêter aux moqueries de son compagnon, remit de nouveau le discours sur le canonicat. Là-dessus M. de La Fontaine, à qui les Fables n’avaient pas encore donné de la réputation, mais qui cependant déjà était fabuliste, entreprit de chapitrer son ami et de l’amener, au moyen d’un exemple, à prendre parti sur ce qu’il souhaitait enfin d’entreprendre.

— Un jour, dit-il, M. de Racan, de la maison de Bueil, qui