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allait pédestrement auprès de son ami, il est vrai que le dieu que vous nommez a bien de l’agrément. Tout comme un autre, je sais apprécier le bouquet de nos vins de rivière, de nos rouges de montagne ! Mais, monsieur, ce dieu dont vous parlez avec tant d’éloquente chaleur et que je me vante, devant quelque bon quartaud en perce, d’honorer souvent à ma manière, n’est pas le seul à exercer sur moi son empire. Il en est un plus doux, mais plus perfide aussi. Vous en avez, comme moi, assez souvent éprouvé le caprice et subi le dommage !

— Si c’est l’Amour, Monsieur, que vous voulez désigner, répliqua M. de La Fontaine avec un sourire moitié figue et moitié raisin, je reconnais volontiers que j’ai fait assez souvent mon compagnon de ce petit bonhomme. Avec une joyeuse moquerie, une perfide insouciance, ce garçon de Cythère s’est, plus d’une fois, emparé de mon cœur. Il l’a même ravagé à diverses reprises de la belle façon. Cela, comme à vous, m’a laissé plus d’une fois l’âme assez désolée. Je ne sais trop en effet si c’est du bien ou du mal que le petit bélitre, en se glissant dans mon cœur, m’a fait éprouver ; mais ce que je sais, et ce que j’ai décidé, c’est d’en finir avec ce tyran. Que diriez-vous en effet, monsieur, si, rompant avec tous mes désordres, je prenais femme pour tout de bon et me mariais avec quelque personne bien pondérée, sans folie et qui-passerait le temps auprès de moi, dans sa province, à tenir ma maison, moucher mes petits enfants et ravauder mes chausses ? Une certaine Marie Héricart, de la Ferté-Milon, dont on m’a dit assez qu’elle est belle et sage, me semble assez propre à cet exercice.

M. de Maucroix, voyant le feu du ciel s’abattre à ses pieds sur sa haute Montagne et, des pentes de Bligny à celles de Coulomme, achevant de dévaster le vignoble rémois, n’eût pas ressenti une stupeur plus grande que celle qu’il éprouva à entendre son ami M. de La Fontaine lui exprimer le désir de lier à jamais ses jours à ceux de quelque novice et paisible bourgeoise.

— Eh ! quoi, monsieur, dit-il tout suffocant, vous feriez cela ? Et, tandis que le sort m’a ravi M, le de Joyeuse pour la donner au marquis de Brosses, vous épouseriez cette per-sonne de la Ferté-Milon ?

Il semblait qu’un chagrin caché mais profond se fût, en ce moment, réveillé en M. de Maucroix, et, comme nos compagnons