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de bien des sarments, tari bien des grappes. La vinée ne s’annonçait pas bonne. De sorte que c’avait été au plaintif bercement des doléances de M. de La Haye que Maucroix et La Fontaine avaient gagné Dormans, M. de Maucroix absorbé dans ses pensées qui n’étaient pas toujours couleur de rose, car c’est le propre des amoureux de cheminer, chargés de mélancolie, ruminant leurs amours, M. de La Fontaine, occupé des gambades que les lapins et les lièvres faisaient en se sauvant à sa vue, et M. de La Haye se lamentant sur l’amer désastre infligé par le ciel à sa belle province. « Encore, disait M. de La Hay, sur ce ton nasillard qu’il apporta depuis, déguisé en savetier, à débiter des sornettes sur le Beau Richard de Château-Thierry, encore si le mal fût mal tombé sur quelques treilles malotrues ! sur quelque terroir de nulle valeur ! Mais les divines côtes d’Avenay ! de Mareuil ! d’Ay ! que les colibeteurs du pays nomment par excellence vinum dei ! de Cumières ! d’Arty ! Ah ! savoureux vin blanc dont la moindre goutte est digne de la bouche de quatre rois ! d’Epernay ! des demoiselles de Paroy ! de Gland ! Ah ! Seigneur, tout est frit, tout est perdu ! Même la benoîte montagne de Reims ! »

Encore qu’une nuit prolongée, passée dans une bonne auberge, leur eût, à Dormans, remis à peu près l’esprit en place, nos deux compagnons, délivrés de M. de La Haye qui les avait laissés au croisement de la route de Reims, commençaient sous le soleil de septembre, à gravir, entre deux rangées de ceps assez drus, les premiers échelons des hauteurs fameuses qui séparent la vallée de la Vesle de la vallée de la Marne. Comme si M. de La Haye eût été toujours à leurs côtés et se fût prêté à les divertir par ses regrets mêmes, les deux amis continuaient, tout en cheminant, à parler sur le vin, M. de La Fontaine soutenant que l’un des mérites du vin n’est pas d’inspirer seulement les poètes, mais, par un doux prestige, de niveler les conditions, d’apaiser les querelles et d’accorder les hommes, « D’un poète comme Voiture, qui grandit dans le frais asile du cabaret que tenait son père, à M. de Saint-Evremond, gentilhomme et soldat, qui ne laisse pas de vanter partout le piquant des vins de Champagne, nos crus ont fait deux fidèles servants d’un même dieu !

— Il est vrai, répliqua M. de Maucroix tout en soupirant à cause des regrets qu’il conduisait partout avec lui depuis qu’il