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AUTOUR DE LA FONTAINE

MAUCROlX ET LA MARQUISE DE BROSSES


I. — LE MEUNIER, SON FILS ET L’ANE

En ce temps-là (1647), La Fontaine n’était pas encore Maître des Eaux, Maucroix n’était pas encore chanoine ; mais déjà ils étaient ces compères, ils étaient ces pigeons que les fables du premier et les lettres du second ont montrés si doucement unis dans un même amour : celui de la nature et de la poésie. Errer dans de mêmes campagnes, bien fertiles, bien belles, où s’étendent des moissons, coupées par un pâturage où quelque berger soufflant dans la flûte à Guillot leur ravissait l’âme d’une musique naïve, enfin gravir un coteau de Champagne tout couvert de pampres, s’asseoir à l’ombre de la treille durant que Margot dispose sur la nappe, avec un vin du cru, quelques croquets de Reims et des dauphins de Chaury voilà, par-dessus tout, ce qu’aimaient, au déclin d’un beau jour, à goûter nos amis.

Ce plaisir-là, digne de gens qui aimaient Horace et ne laissaient pas d’accorder beaucoup aux divinités feuillues du vignoble, avait bien, il est vrai, failli être gâté la veille par les plaintes que M. de La Haye, leur voisin, qui les avait accompagnés de Chaury à Dormans par toutes sortes de jolis détours en suivant la Marne, leur avait infligées à l’un et à l’autre. Durant cette année, le ciel ne s’était pas montré bien clément au soi champenois ; la rigueur du froid, la rareté des pluies avaient même, dans beaucoup d’endroits, amené le dépérissement