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infinis loisirs de la vie provinciale qu’au hasard de ses lectures, il amassa ce trésor d’histoires, de mots et de rythmes où, le jour venu, il puisera au gré de sa fantaisie.

Des chansonnettes, dont la moins licencieuse est l’Alléluia, voilà tout ce qu’on connaît de La Fontaine avant 1624, c’est-à-dire jusqu’à sa trente-troisième année. Il est probable que d’autres productions du genre de l’Alléluia et sans doute quelques essais dans le « genre héroïque » sont perdus. A-t-il dans sa jeunesse ébauché quelques-uns de ses Contes, quelques-unes de ses Fables ? C’est possible, ce n’est pas certain.

Le premier ouvrage qu’il publia fut une comédie d’après l’Eunuque de Térence. Il l’appelle une « copie. » C’est en réalité une imitation très libre où il s’est efforcé d’accommoder la comédie latine au goût et aux mœurs de son temps. Quelle peine il s’est donnée pour effacer de l’intrigue tout ce qui aurait pu choquer le spectateur, pour adoucir les situations trop scabreuses, pour transformer une courtisane en une jeune veuve pleine d’honneur et de vertu, à peine coquette ! Ce qui ne l’empêche pas d’ailleurs de céder à son naturel et d’ajouter à l’original de singulières verdeurs de langage. On rencontre dans l’Eunuque de brusques élégances qui font songer aux comédies de Corneille, des vers limpides et tendres qui annoncent Racine, d’autres naïfs et touchants qui n’appartiennent qu’à La Fontaine ; mais ce sont beautés éparses : dans cet exercice ingénieux, souvent agréable, on ne peut encore deviner le grand poète des Fables.


VIII. — UNE PROMENADE A LA FONTAINE DU RENARD

Le poète s’est lentement formé au spectacle de la nature. Ni Marot, ni Rabelais, ni Horace, ni Térence ne lui enseignèrent ce que lui ont appris ses longues flâneries dans la campagne de Château-Thierry et sur les coteaux de la Marne.

Il n’est pas le seul des écrivains de son temps qui soit né à la campagne, mais il est le seul qui y soit resté presque jusqu’à la quarantaine, vivant dans la société des paysans, des bêtes et des arbres. Il lisait beaucoup, il rêvait encore davantage, mais il quittait son livre, abandonnait sa rêverie pour contempler le tableau que le hasard du jour ou de la saison plaçait sous ses yeux. L’abbé d’Olivet voudrait nous faire croire que La Fontaine