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A Marot et à Rabelais il restera toujours fidèle, mais le faux-brillant de Voiture commen-cera bientôt d’inquiéter son goût.


Je pris certain auteur autrefois pour mon maître ;
Il pensa me gâter. A la fin, grâce aux Dieux,
Horace par bonheur me dessilla les yeux.
L’auteur avoit du bon, du meilleur ; et la France
Estimoit dans ses vers le tour et la cadence.
Qui ne les eût prisés ? J’en demeuroi ravi ;
Mais ses traits ont perdu quiconque l’a suivi.
Son trop d’esprit s’épand en trop de belles choses :
Tous métaux y sont or, toutes fleurs y sont roses [1].


L’ « auteur » c’est Voiture.

Avec Horace, ce furent les littératures anciennes qui vinrent élargir son horizon, affermir son goût, le garder du clinquant à la mode. Il eut deux bons conseillers, son parent Pintrel et son ami Maucroix, tous deux latinistes et connaisseurs de l’antiquité. Il lut donc Horace, Virgile, Ovide dans l’original ; Homère et Platon dans des traductions latines ; Plutarque dans Amyot.

Ce paresseux fut un grand liseur. Tous ses ouvrages nous le montrent vivant dans la familiarité non seulement des auteurs grecs, latins et français, mais aussi des grands écrivains italiens.


Je chéris l’Arioste et j’estime le Tasse ;
Plein de Machiavel, entêté de Boccace,
J’en parle si souvent qu’on en est étourdi ;
J’en lis qui sont du Nord, et qui sont du Midi [2].


Les romans le divertissaient aussi. « Je me plais aux livres d’amour, » est le refrain d’une ballade où il énumère tous les romans dont la lecture le charmait, les romans grecs d’Héliodore et de Tatius, nos vieux romans, comme Perceval le Gallois et Amadis ; le Polexandre de Gomberville, l’Ariane de Desmarets ; et Cervantes, et les deux Scudéry, et surtout M. d’Urfé :


Étant petit garçon, je lisois son roman.
Et je le lis encore ayant la barbe grise.


Il a lu toute sa vie, mais ce fut sans doute dans les longs, les

  1. Épître à Mgr l’Evêque de Sois-sons (Huet), v. 46 et suivants.
  2. Ibid., v. 67 et suivants.