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on y voit la boutique d’un savetier et le comptoir d’un marchand de blé. Et le ballet commence mêlé de dialogue et de danse.

Le marchand contemple les sacs de blé rangés sur le comptoir. Des cribleurs s’arrêtent et criblent le grain. Survient le savetier : il désire acheter six se-tiers de blé. Comme il n’a point d’argent, un notaire se présente qui danse et rédige un acte en bonne forme : le savetier s’engage à payer quarante écus à la Saint-Nicolas d’hiver. Passe un meunier poussant son âne : l’homme gémit sur sa malchance et sa misère ; l’animal refuse d’avancer parce qu’il n’a pas eu son avoine. Cependant le marchand livre le blé et le meunier charge son âne… (Tout l’art du fabuliste apparaît déjà dans cette suite de petites scènes populaires.) Le marchand quitte son comptoir pour aller cajoler la femme du savetier. Elle lui rit au nez ; mais il brandit l’obligation que le mari a signée, et menace de mander les sergents, si on lui résiste. La femme feint de céder, et les voici maintenant attablés tous deux dans la boutique du savetier. Un pâtissier leur apporte une collation. L’amoureux déchire en deux l’obligation, mais, sur le champ, la rusée commère est prise d’une quinte de toux : c’est le signal convenu avec le mari qui surgit moqueur et courroucé. Le marchand se jette sur les morceaux du papier qu’il a eu l’imprudence de déchirer. L’autre les lui arrache. « Le savetier et sa femme éclatent de rire. On danse. »

Pour soutenir les danses et pour égayer le dialogue vif et narquois de La Fontaine, ima-ginez quelques vieux airs de chansons à danser : ce devait être un bien joli divertissement que les Rieurs du Beau-Richard.

Les acteurs de la farce étaient tous de Château-Thierry, amis ou parents de l’auteur. Le savetier, c’était M. de La Haye, prévôt du duc de Bouillon, et qui écrivait des lettres savoureuses dans le style de Rabe-lais. M. de Bressay, un cousin par alliance de La Fontaine, s’était déguisé en femme, pour représenter l’épouse du savetier. Le garde des sceaux de la prévôté de Château-Thierry, M. de la Barre, jouait le notaire dansant. M. Le Breton faisait le marchand de blé, et M. Le Formier faisait l’âne.