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A l’ombre de la vieille et sublime cathédrale, il y avait à Reims, comme dans toutes les grandes villes de France, une compagnie d’honnêtes gens, grands buveurs et grands rimeurs, vivant une existence souriante, plantureuse, un peu débridée, indifférents aux choses de la politique, gardant leur humeur raillarde et chansonnière en dépit des calamités publiques : famines, passages d’armées, discordes civiles, incursions de l’ennemi... Il est assez amer d’évoquer ces souvenirs-là aujourd’hui qu’il ne reste plus rien de la vieille cité où fleurissait jadis la gaité de tous ces bons Champenois, pétillante comme le vin de leurs coteaux, spirituelle comme une épigramme de Maucroix, grivoise comme un conte de La Fontaine...


V. — A CHAURY. — LES RIEURS DU BEAU-RICHARD

Il ne faudrait pas s’imaginer que, quand il quittait Paris ou Reims pour revenir à Château-Thierry, La Fontaine pensât tomber en Béotie et se crût en exil. Une petite ville d’alors ressemblait si peu à une morne sous-préfecture d’aujourd’hui ! Chacun y connaissait son voisin dont il était peu ou prou le cousin. Les fêtes revenaient à point nommé, — elles revenaient souvent, — pour donner aux gens l’occasion de boire, chanter, danser et manger de compagnie. A Chaûry [1] on aimait la ripaille. Mais il s’y trouvait aussi de beaux esprits, même des précieuses ; on y lisait des romans ; on y faisait des vers, et Mlle de La Fontaine présidait sa petite académie.

Les soirs d’été, les notables se rendaient au carrefour du Beau-Richard où débouchaient la Grande-Rue, la rue du Pont et la rue du Marché. Assis sur les marches de la chapelle de Notre-Dame du Bourg, ils se disaient les nouvelles et les commérages du jour, dévisa-geaient les passants, leur jetaient un bonjour ou un brocard. On appelait la confrérie : les Rieurs du Beau-Richard. Sous ce titre La Fontaine a composé un petit ballet qui peint à merveille la ville où s’est écoulée sa jeunesse.

Le théâtre représente d’abord le carrefour du Beau-Richard un des rieurs vient, en manière de prologue, exposer au public le sujet de la farce. Puis la scène est sur la place du Marché :

  1. Au XVIIe siècle, Château-Thierry se di-sait par abréviation Chaûry. On trouve ce nom même dans des actes publics.