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demeure de la Renaissance ail été le berceau de La Fontaine, petit-neveu de Marot et filleul de Rabelais, il faut, comme Garo, en louer la Providence et conclure que « Dieu a bien fait tout ce qu’il a fait, » mais il serait superflu de demander à ces heureux hasards le secret du génie.

Inutile aussi de le chercher dans le mystère de la race. Taine l’a tenté dans les premières pages de son Essai sur La Fontaine. Afin d’expliquer l’œuvre et l’esprit du poète champenois, il a fait de la Cham-pagne une large peinture où se rencontrent des traits brusques et vrais comme celui-ci : « Les plaines crayeuses sous leurs moissons maigres s’étalent bariolées et ternes comme un manteau de roulier. » Puis, tous les caractères de la contrée, il a voulu les retrouver dans La Fontaine. On a souvent blâmé ce genre de critique : il est, a-t-on dit, impossible d’établir entre un écrivain et son pays ces sortes de parallèles ; est-ce que Chateaubriand et Lamennais ne sont pas tous deux Bretons ? Rabelais, Descartes, Vigny, ne sont-ils pas tous trois Tourangeaux ? Bossuet et Piron sont de Dijon, etc.. D’ailleurs, pour La Fontaine, ce qui complique la question et la rend à peu près insoluble, c’est que, Champenois par sa naissance, par son père, par ses aïeux paternels, il était fils d’une Poitevine. Néanmoins, s’il est facile de triompher de Taine, on pourrait le faire avec plus de discrétion. Lui-même a bien senti le péril de sa méthode, et il avoue : « Ce sont là des raisonnements de voyageur, tels qu’on en fait en errant à l’aventure dans des rues inconnues ou en tournant le soir dans sa chambre d’auberge. Ces vérités sont littéraires, c’est-à-dire vagues ; mais nous n’en avons pas d’autres à présent en cette matière, et il faut se contenter de celles-ci, telles quelles, en attendant les chiffres de la statistique et la précision des expériences. » Taine les attendait avec une confiance qui nous fait un peu sourire. Et pourtant, on est bien près près de lui donner raison, quand il conclut : « Il ne faut pas trop se hasarder en conjectures, mais enfin, c’est parce qu’il y a une France, ce me semble, qu’il y a un La Fontaine et des Français. »

Quant à l’hérédité, ses lois sont flottantes et incertaines. Le plus grave est que des ascendants de La Fontaine nous ne savons rien. Nous possédons sa généalogie, du côté paternel : son bisaïeul a été contrôleur des aides et tailles à Château-Thierry ; son grand-père marchand, puis maître des eaux et forêts ; son