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quelques nuits d’alerte et de sommeil interrompu n’ont pas aboli des sentiments héréditaires : sentiments qui sont, du reste, aujourd’hui, pour l’Angleterre elle-même, un anachronisme et un péril ; car, s’il se produisait une nouvelle explosion de l’impérialisme germanique, la France ne serait pas seule menacée.

Quoi que nous fassions, nous nous ignorons donc trop les uns les autres et la France doit remercier les hommes politiques et les publicistes anglais qui s’efforcent de la montrer à l’Angleterre sous son aspect de nation raisonnable, pacifique et modérée. Il est trop naturel que nous gardions des appréhensions, après une paix qui, comme le remarque encore le Times, n’a garanti par aucun boulevard permanent la sécurité de nos frontières. Une occupation militaire de quinze ans, déjà restreinte après cinq ans, plus réduite encore après dix, voilà la seule protection qui nous ait été donnée. On nous avait promis qu’en cas d’agression, non provoquée par nous, l’Amérique et l’Angleterre viendraient, de nouveau, combattre à nos côtés. Pour cette ombre, nous avons lâché la réalité, et nous sommes restés les mains vides. Nous cherchons maintenant à désarmer l’Allemagne, mais lorsqu’elle aura livré tous ses canons et ses fusils, licencié l’Orgesch et dissous ses troupes camouflées, elle aura toute liberté pour recommencer ses fabrications et reconstituer son armée. La commission interalliée devra, en effet, quitter Berlin et seule la Société des nations, qui n’a pas le moyen de procéder à des investigations sérieuses, qui n’a aucun droit de coercition et qu’affaiblit encore l’absence de l’Amérique, sera chargée d’exercer sur l’Allemagne une surveillance illusoire. Pour nous rassurer, l’Allemagne nous dit qu’elle est devenue une grande démocratie et qu’elle désavoue ses anciens ber-gers. « L’Allemagne, écrit sans rire la Frankfurter Zeitung, veut réaliser l’idéal de la démocratie pacifique. » On s’en est bien aperçu, ces jours-ci encore, lorsque la Cour de Leipzig, continuant sa comédie judiciaire, a condamné à des peines dérisoires des sous-officiers qui s’étaient rendus coupables de brutalités ignobles à l’égard de prisonniers. On s’en est également aperçu, lorsque le prince Eitel-Frédéric, escorté de quinze généraux de l’ancien régime a solennellement passé en revue la garde royale prussienne, qui, comme chacun sait, n’existe plus, mais qui ne s’en survit pas moins à elle-même, dans le cadre d’une formation appelée Traditions-Kompagnien, et qui s’est empressée de revêtir pour la circonstance les brillants uniformes d’autrefois. On s’en est aperçu enfin, lorsque la marine impériale a tumultueusement fêté, en présence d’une