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La pièce nouvelle de M. Brieux met dans son œuvre une note tout à fait originale. Point de discussion d’idées. Point de thèse sociale. Une pièce gaie, qui ne prétend qu’à être gaie. C’est au point que d’abord, au théâtre même où elle devait être jouée, on ne reconnut pas la marque de l’auteur de Blanchette et on ne soupçonna pas sa main. Composée avant la guerre, elle avait été, si je suis bien informé, envoyée à l’Odéon sans nom d’auteur. Reçue pour elle-même, ce fut une sur-prise lorsque, l’anonymat une fois dévoilé, on apprit que cette comédie joyeuse était de M. Brieux. Pourtant, et à y regarder de près, peut-on dire qu’elle étonne ou qu’elle détonne dans son théâtre ? Nullement. Il y a pour le moins l’air de famille. C’est la même santé morale et la même robustesse. C’est l’accès de belle humeur et c’est l’éclat de rire auquel on pouvait s’attendre dans un théâtre qui, par Emile Augier, rejoint notre tradition classique.

Les Trois bons amis de M. Brieux sont éminemment une farce dans le goût de nos vieux fabliaux. C’est la veine qui, depuis le moyen-âge jusqu’à Courteline, se continue chez nous sans interruption. C’est le genre de comique qui a goût de terroir en pays gaulois. Nos aïeux, qui n’étaient pas romantiques pour un sou, ont toujours refusé de pousser au sombre et de tourner au drame la mésaventure conjugale. Ils ne raffinaient pas sur l’adultère. Ils n’y soupçonnaient aucune poésie. Ils le voyaient tel qu’il est, dans sa banalité vulgaire et sa basse médiocrité. Ils en faisaient des gorges chaudes et des contes gras, entre bons compères toujours prêts à rire d’une histoire gaillarde qui parfois était leur propre histoire.

Quelque part, en province, chez de tout petits bourgeois. Je n’ai pas besoin de vous faire remarquer que le cadre provincial et petit bourgeois est ici indispensable. Rombier et Limerot tiennent une agence de location, aux environs de Briançon. L’amitié de Rombier et Limerot est connue dans le canton et proverbiale dans le département. Amis d’enfance, camarades d’école, ils ne se sont jamais quittés. Rombier aime Limerot et Limerot aime Rombier et ils ne savent pas autre chose. Ensemble ils font leurs affaires, ils vivent et ils téléphonent ensemble. Rombier est gras à lard, sanguin et apoplectique, Limerot est gringalet et pâlichon ; et ce contraste de leurs complexions contribue à l’irrésistible sympathie par quoi ils sont liés. Rombier est marié et Limerot est célibataire. Mme Rombier complète le joyeux trio. Chaque semaine, Rombier fait une absence : il passe vingt-quatre heures à Briançon. C’est une nuit par semaine où Limerot prend auprès de Clémentine la place du