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mais cette institution, née de la volonté royale, était condamnée à demeurer embryonnaire. Du moins, la France est désormais assez forte pour résister à la dissolution. Elle se releva par l’union autour du Roi, qui, en assurant la victoire et l’indépendance du peuple, assura sa propre victoire : « la nation abdique entre ses mains. » Ce grand fait résume toute une époque sombre et troublée, déchirée par l’invasion étrangère et par les guerres civiles, par le schisme politique et par le schisme religieux, par l’arbitraire, par la perversion des mœurs, mais féconde en progrès politiques : c’est elle qui vit la constitution définitive des grands organes du gouvernement, conseil, chambre des comptes, Parlement, qui prépara la centralisation judiciaire et fiscale, qui établit la permanence de l’impôt, et, d’un mot, qui créa l’Etat.

Pendant ce temps, la France continue. A l’heure la plus désespérée de son histoire, à l’heure où nul ne parait se soucier de la France ni de la justice, une enfant sauve l’une et l’autre : en l’espace de quelques mois, toute la France se retrouve debout derrière le Roi ; elle répond au miracle par l’effort ; de Charles VII à Louis XI, associant étroitement son œuvre à celle du Roi, elle refait son unité, restaure l’ordre, relève les mœurs, brise les dernières coalitions, et apparait au seuil de l’aube moderne avec une cohésion parfaite, garante de sa vitalité.


Une telle histoire est riche d’espérance : elle n’est pas moins riche de suggestions et de leçons. Quatre siècles, à peine, nous en séparent : ces quatre siècles ont-ils instauré un ordre nouveau, fait pour durer ? marquent-ils une époque de crise ? Il est difficile de répondre. Nous sommes facilement dupes, dans le temps, de la même illusion dont nous sommes dupes dans l’espace : les époques éloignées nous paraissent courtes lorsque nous les comparons à la nôtre, et nous agrandissons démesurément les années que nous vivons ou que nous venons de vivre. Le recul permet à l’esprit une plus juste appréciation de la valeur des événements.

En réalité, celui qui se replace dans le grand courant de l’histoire et qui fait effort pour la dominer s’aperçoit que l’équilibre parfait réalisé au moyen âge a été rompu au XVIe siècle, et qu’un déséquilibre règne, depuis ce temps, dans la société