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il prépara le nivellement d’où sortit un régime d’inégalité, de sujétion et de patronage. Pour remédier à ces abus, il ne fallut rien de moins que l’incomparable force morale et spirituelle qui remodela toutes les énergies de la nation, leur donna un sens et une fin, renouvela, par le principe de la séparation des pouvoirs, la société politique, et insuffla une âme à la nation dont l’unité s’ébauchait : restée seule debout dans la crise qui faillit emporter la civilisation avec l’Etat romain, l’Eglise chrétienne maintint et transmit aux générations à venir tout l’héritage du monde finissant, vivifié par son esprit propre.

Les Celtes, Rome, le christianisme : voilà ce qui a fait la nation française. Aux Germains elle ne doit rien. Ils n’ont que très faiblement modifié la race ; leur établissement en Gaule, soit par hospitalité, soit par conquête, ne changea pas le régime des biens ni des personnes ; loin d’être les initiateurs des libertés publiques et privées, d’une culture plus haute, d’une moralité plus pure, ces Barbares n’émancipèrent que la force, et n’instaurèrent qu’une conception toute matérielle de la puissance publique, comme d’une appropriation individuelle, susceptible d’être partagée et démembrée ainsi que toute propriété. Les Barbares, en Gaule, n’ont donc pas créé, mais détruit : pour s’incorporer à la nation, ils ont dû se hausser jusqu’à elle ; pour n’être point submergée par eux, la nation a dû éliminer le germanisme par un effort continu de libération.


S’il est vrai que le grain doit mourir pour renaître, que tout ce qu’il y a de grand, de fécond, de durable, s’enfante dans la douleur, il n’est rien, peut-être, dans l’histoire, qui s’accorde mieux avec cette loi de la nature physique et morale, rien, à coup sûr, qui soit plus réconfortant pour nous, que le spectacle de ce peuple, le nôtre, luttant contre la barbarie asiatique pour sauver la précieuse semence qu’il a reçue d’Israël, de la Grèce et de Rome, et prenant, dans cette souffrance et dans cette lutte, conscience de la mission sublime qui lui est départie. Cette conscience se manifeste déjà chez Clovis et chez ses successeurs : elle s’affirme et rayonne dans la personne et dans l’œuvre de Charlemagne. Clovis, un Barbare, refoule la Germanie au delà du Rhin ; par sa conversion et son baptême, le