qui fait l’œuvre sienne et la communique aux autres, qui la crée en quelque sorte une seconde fois, si bien que l’auteur et lui se comprennent, se pénètrent l’un l’autre au point de devenir deux êtres vivants en un seul être. » En est-il beaucoup parmi nous, mes chers confrères, en qui de si hautes leçons n’éveillent quelque regret, peut-être quelque remords !
A son ami inconnu le vieux maitre envoya plus d’une fois de tendres, de touchantes assurances : celle-ci, par exemple, qui vint me trouver un jour au pied de ces Pyrénées dont il a chanté la gloire : « Que ma bénédiction descende sur une maison blanche, au toit penchant, et sur tous ses habitants, qui sont une partie de mon âme. » Entre tant de lettres que je viens de relire, plus d’une commence par ces mots : « Amigo de todo mi afecto. » C’est ainsi qu’à mon tour je lui dédie cette page, où je souhaite, s’il vient à la lire, qu’il trouve encore une fois le signe lointain mais sensible d’une amitié qui répond à la sienne et qui l’égale.
Gounod avait raison : « Il suffit d’un interprète pour calomnier un chef-d’œuvre. » Mais par bonheur il n’est pas moins vrai que les chefs-d’œuvre peuvent trouver des interprètes qui les honorent, qui les servent au lieu de les trahir. J’en ai connu, de nombreux. Plusieurs ont été mes amis, le sont encore. Morts ou vivants, c’est de ceux-là seuls que je me souviendrai. J’oublierai les autres, les calomniateurs.
Le mot de Léonard n’est vrai qu’à demi : « Cosa bella mortal passa, ma non d’arte. » Un chant, une voix, est une « belle chose d’art, » mais qui passe, et sans laisser de traces. C’est même tout le sujet des « Stances à la Malibran » et toute leur mélancolie. « Tu regardais aussi La Malibran mourir. » Une autre et non moins célèbre cantatrice, la Falcon, celle qui fut, — un instant à peine, mais si beau, dit-on, — Alice, Rachel et Valentine, la Falcon, s’est vue morte. Et pendant combien d’années ! On sait l’éclat et la brièveté de sa gloire et comment, sa jeune voix s’étant un soir brisée, le reste, — un demi-siècle au moins, — fut silence. Autrefois, ayant à parler de Meyerbeer, j’avais souhaité d’entendre d’abord parler de lui par son illustre interprète. Elle allégua son grand âge, sa retraite et sa volonté même, favorable à son repos, de ne plus se souvenir.